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LA HOLLANDE.

que je voulusse être habillé comme on l’était il y a vingt ans, mais ses objections ne pouvaient m’émouvoir, et il se mit à l’œuvre.

Le dimanche suivant, j’entre chez Mme Teederhart, avec mon habit à larges basques tombant au-dessous du jarret, et mon gilet descendant jusqu’au milieu du ventre. Les passans s’arrêtaient pour me voir dans la rue, et si nous avions été au temps du carnaval, on aurait pris ce costume suranné pour une mascarade. Mais je me souciais peu des remarques que l’on pouvait faire, je ne songeais qu’au bonheur de remplir le désir de ma bienfaitrice, bien que ce désir me parût, à vrai dire, une fantaisie un peu étrange. En me voyant, Mme Teederhart pousse un cri, puis s’approche et me regarde en silence des pieds à la tête, et joint les mains, et me regarde encore avec une expression étonnante de joie et de surprise. Puis me conduisant au fond de son salon : Attendez, me dit-elle, il manque encore quelque chose à votre toilette. Elle s’approche d’une armoire, en tire une longue cravate blanche brodée, la met à la place de mon col de satin, me regarde et s’écrie : Ô mon Dieu ! ô mon Dieu ! et me prenant les mains dans les siennes, me contemple l’œil ému, le cœur agité, sans pouvoir proférer une parole. Tandis que nous étions là debout tous deux, elle, muette, et moi cherchant à deviner le secret de son émotion, tout à coup entre une de ses amies, qui me regarde et s’écrie : Herr Jesus ! c’est M. Charles ! À ce nom magique, Mme Teederhart met ses mains sur son visage, pousse une exclamation de douleur, et s’enfuit dans une autre chambre. — C’est M. Charles, répète son amie, et m’observant encore de plus près : — Vraiment ! vraiment ! a-t-on jamais vu une ressemblance pareille ! — Mais, qui donc, m’écriai-je, est ce M. Charles que vous connaissez ? — Quoi ! vous ne le savez pas ? Le fils de mon amie, le fils adoré qu’elle pleure toujours. — Et s’approchant du grand tableau voilé que j’avais remarqué le premier jour de mon arrivée chez Mme Teederhart, elle ôte le crêpe qui le recouvre, et je vois un jeune homme de mon âge, vêtu comme je l’étais en ce moment, et si semblable à moi, qu’un peintre n’aurait pu faire mon portrait avec plus d’exactitude, qu’un miroir n’aurait pu mieux refléter les traits de mon visage. — Oh ! pauvre femme, m’écriai-je ! Pauvre malheureuse mère ! À présent, je comprends tout ce qu’elle a souffert, toutes les joies menteuses et les cruels regrets qu’elle a dû éprouver en me voyant.

Au même instant, Mme Teederhart parut. Elle était pâle et défaite, et l’on voyait à ses yeux rouges qu’elle venait de pleurer. « Chère Thérèse, dit-elle à son amie ; revenez me voir bientôt, et mainte-