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LE SALON.

sont faciles à prévoir. Leurs ouvrages n’ayant désormais plus guère d’autre destination que d’être exposés d’abord et puis vendus, le choix du sujet et même le mode d’exécution sont en général déterminés par ces deux circonstances. Ainsi, suivant le cas, on se décide indifféremment pour le Christ ou pour Jupiter, pour Vénus ou pour la Vierge, pour saint Pierre ou pour Napoléon, pour le moyen-âge, la Grèce, Rome ou la régence. Tout est bon, pourvu que la dimension et certaines convenances de style soient dans les conditions de ce qu’on appelle la grande peinture, la seule qui soit protégée. Quant au mode d’exécution, il est presque exclusivement subordonné à l’effet présumé de l’ouvrage au salon, et non aux conditions intrinsèques du sujet, de sa destination ultérieure, de sa perfection absolue comme œuvre d’art. Les exposans expérimentés le savent bien. Il faut absolument au salon attirer les yeux distraits de la foule, et leur faire violence. C’est là la préoccupation première de la plupart des peintres, qui sacrifient tout à ce but. Or, ce but n’est pas le meilleur ; il engendre l’habitude de pratiques paresseuses, factices, superficielles, il pousse à la recherche des singularités, des effets imprévus, des exagérations systématiques, des extrêmes dans tous les genres. La popularité fait ici, comme ailleurs, bien des victimes.

Quant à la condition sociale des artistes, elle a subi aussi des changemens. Ne travaillant plus aussi directement pour la société dans l’intérêt de ses besoins, ils ne sont plus avec elle dans un rapport aussi immédiat. L’art étant de nos jours une sorte de superfétation, leur destinée est précaire, et même, à un certain degré, toute factice. De serviteurs du public, ils sont devenus les cliens du gouvernement. Leur existence, comme classe, dépend en fait du budget. C’est là le fonds social et commun qu’ils se partagent chaque année, aussi équitablement que possible. Il s’est établi ainsi entre les artistes et l’état une sorte de contrat tacite par lequel celui-ci s’engage à acheter ce que ceux-là sont tenus de produire. Et ce qui est pour le gouvernement un devoir est pour les artistes un droit. Ils réclament l’encouragement, c’est-à-dire des commandes, comme le paiement d’une créance ; et l’état est moins pour eux un protectorat qu’un débiteur. Le jour du salon est l’époque de l’échéance. Le gouvernement, de son côté, n’achète guère que pour acheter, c’est-à-dire pour épuiser son allocation ; car, dans ce singulier système, le choix des travaux est à peu près indifférent. Ici, en effet, on ne choisit pas l’ouvrier en vue de l’œuvre à faire, mais au contraire l’œuvre en vue de l’ouvrier. L’essentiel est que les artistes travaillent, et dès-lors