Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/20

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
16
REVUE DES DEUX MONDES.

certificat qu’un certificat de bonne vie et mœurs. Or, pour rejeter des obscénités, s’il s’en présentait, ou des satires interdites par les convenances ou par les lois, on trouvera facilement un tribunal, et un tribunal infaillible. Mais, pour cet impraticable triage du bon et du mauvais grain, il n’y a pas de jury qui puisse s’en tirer avec honneur et succès. Aussi est-il présumable que, l’institution ne pouvant satisfaire les hommes, les hommes finiront par manquer à l’institution, et qu’il n’y aura plus de jury faute de jurés.

Mais il y a quelqu’un de plus embarrassé encore que le jury, c’est la critique. Elle aussi a à prononcer des décisions, à faire des parts. Elle aussi n’est guère en faveur auprès des artistes, qui ne lui accordent d’autre droit que celui de les louer. La première question à vider avec eux serait celle de la compétence. Nous la laisserons indécise, car elle n’est qu’un épisode de la grande et interminable querelle des théoriciens et des praticiens. Heureusement les décisions de la critique ne sont pas des arrêts, ses sentences sont toujours révocables, elle dépèce abstraitement le talent de l’artiste, mais elle ne porte pas la main sur sa toile ou sur son marbre. Elle parle beaucoup, mais ne touche à rien.

Toutes ces différences nous font, à l’égard des artistes et du public, une position bien plus supportable que celle du jury, et nous permettent d’entreprendre, sans trop d’émoi, notre excursion dans les galeries.


PEINTURE. — Tableaux d’histoire. — Parmi les peintures qui décorent le salon carré, il en est deux qui se disputent l’attention : la Prise de Constantinople par les croisés de M. Delacroix, et l’Abdication de Charles-Quint de M. Gallait. Toutes deux le méritent, à des titres différens et inégaux. L’une intéresse surtout la foule, l’autre les artistes.

Ce qui distingue et spécifie éminemment la peinture de M. Delacroix, c’est la prédominance exclusive de l’élément pittoresque. Il conçoit tout, il voit et rend tout avec des yeux de peintre et pour des yeux de peintre. Tout, dans la conception et l’exécution de ses œuvres, est subordonné à l’effet de la peinture, comme telle, et abstraction faite des objets représentés. Il veut moins représenter un fait, exprimer une idée, que peindre une toile. Le sujet est pour lui moins un but qu’un prétexte. Et c’est ce qui déroute si fort le public, qui, ne comprenant et ne jugeant un tableau que du point de vue littéraire, veut avant tout y trouver ce qu’il cherche dans un