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CAPODISTRIAS.

Ithaque, Saint Maure, Paxos et Cérigo furent la première portion de la Grèce qui recouvra son indépendance. Chefs de l’aristocratie victorieuse, les Capodistrias triomphaient. Tout paraissait devoir se soutenir ainsi quelque temps encore, lorsque, profitant de la guerre qui venait d’éclater entre elle et les Turcs, la Russie envoya douze mille hommes dans les Îles, dont elle se déclara seule protectrice, en leur octroyant une nouvelle constitution qui accordait aux alliés de l’empereur Paul, aux démocrates, une part, faible il est vrai, mais enfin une part dans le gouvernement de l’état.

On devait s’attendre à voir les Capodistrias suivre le parti vaincu ; il n’en fut rien. Ils s’attachèrent avec enthousiasme au nouvel ordre de choses, et M. Jean Capodistrias, président futur de la Grèce, commença sa carrière politique par les fonctions de secrétaire d’état du gouvernement ionien. Il avait alors vingt-sept ans. Ses amis ont vanté le talent qu’il déploya en cette circonstance ; mais la situation imposée à la république septinsulaire par la volonté armée de la Russie laissait peu d’espace à la capacité d’un homme d’état. Le jeu de la machine politique ne s’exécutait que sous l’inspection du pouvoir étranger, chargé à la fois de la défense extérieure, de la consolidation intérieure, de l’interprétation des actes constitutifs. Que restait-il donc à faire ?

Le jeune secrétaire d’état de la république ionienne eut, dès son entrée en fonctions, des rapports nécessaires avec les agens reconnus ou secrets que la Russie entretenait dans les Îles et sur les côtes de l’Albanie. Il se lia aussi avec un certain Ignatius, prélat épirote, qui, persécuté par Ali-Pacha, s’était réfugié à Corfou. Cet évêque fit connaître à M. Capodistrias les chefs de Klephtes et les Armatolis, qui, tous les hivers, chassés par les neiges des hauteurs du Pinde et de l’Olympe, se réfugiaient à Corfou pour y passer en sûreté la mauvaise saison et reprendre au printemps, dans les parties montueuses du continent grec, leur vie errante et belliqueuse. Ces hommes, persécutés par les pachas, s’étaient habitués à tout souffrir plutôt que de renoncer à leur rude liberté et à l’espoir de chasser quelque jour les musulmans. Ce fut d’eux que M. Capodistrias reçut pour la première fois l’aveu de ces audacieuses espérances, dont la réalisation exerça plus tard tant d’influence sur son sort.

Depuis long-temps des révoltes partielles auraient dû avertir les Turcs du danger qui les menaçait. L’insurrection de la Morée en 1770, plus sanglante et plus significative peut-être que les précédentes, n’avait cependant produit aucune impression sur l’esprit des maîtres. Toujours apathiques après la victoire, ils s’étaient contentés de prendre quelques mesures pour repeupler la péninsule, mise à feu et à sang par les Albanais. Tels étaient leur aveuglement et leur indolence, que, même en 1818 et 1819, on chantait dans les rues de Constantinople les chants patriotiques de Righas, sans que la police y prît garde ; on prétend que de riches Turcs et de grands fonctionnaires faisaient répéter devant eux ces hymnes, qu’ils trouvaient fort réjouissans.

Nous venons de nommer Righas. Jeune et poète, créateur de la première hétairie, ou association secrète ayant pour but de renverser le pouvoir du