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CAPODISTRIAS.

l’empire de Napoléon. M. Jean Capodistrias reçut l’invitation officielle de continuer à servir son pays ; il refusa. Une somme considérable, offerte par l’empereur de Russie, fut au contraire acceptée ; et, paraissant abjurer l’amour du sol natal, il s’embarqua sur un des derniers vaisseaux russes qui s’éloignaient de Corfou. Lorsqu’il traversa l’Italie, quelques hétairistes conçurent le projet de l’initier à leurs desseins ; leur chef s’y opposa, donnant pour motifs de cette répugnance le dévouement évident du comte à la Russie, ainsi que l’intérêt qu’ils avaient eux-mêmes à se placer sous la protection de la France ; la proposition n’eut donc point de suite.

Arrivé à Saint-Pétersbourg, M. Capodistrias fut immédiatement admis dans la diplomatie russe. Mais toutes les places étaient occupées, et l’on ne put l’employer qu’en qualité de simple attaché au collége des affaires étrangères, où, malgré l’amitié de M. de Romanzoff, chancelier de l’empire, il resta deux ans, confondu dans la foule et souffrant d’une inaction doublement pénible à sa juste ambition et à la prodigieuse activité de son esprit. Incapable de supporter plus long-temps cette position, il sollicita son envoi aux États-Unis, triste faveur qui l’eût éloigné de la sphère d’action présente. Il allait l’obtenir, quand le chancelier trouva et saisit l’occasion de l’envoyer à Vienne auprès de M. de Stackelberg.

C’était en 1811 ; nous n’examinerons pas curieusement si la défiance témoignée par l’ambassadeur au nouvel attaché était fondée ; les besoins de la légation ne requéraient pas ses services : il n’avait pas été demandé. Cependant rien ne prouve que M. Capodistrias ait rempli, auprès de son supérieur, une mission secrète ; l’amitié que celui-ci ne tarda pas à lui accorder infirme d’ailleurs les bruits répandus à cet égard. Quoi qu’il en soit, le comte ne fut pas occupé activement, et l’on se borna à lui demander des mémoires sur différents sujets relatifs à l’Orient, et plus spécialement aux chrétiens de ces contrées dont les sentimens par rapport aux croyances occidentales sont peu compris de nos publicistes.

Ils supposent volontiers aux Levantins des haines religieuses qui leur sont étrangères, une horreur profonde du culte romain, et par conséquent des sympathies vives pour la seule puissance européenne qui appartienne à leur communion. Tel n’est point cependant l’esprit qui anime les chrétiens d’Orient. Depuis la ruine de l’empire, les discussions théologiques qui l’ont perdu se sont éteintes ; même de couvent à couvent, et de moine à évêque, cette fatale polémique a complètement disparu. Le nom de chrétien sert en Orient de drapeau politique, et non de bannière religieuse. Toutes les races vaincues et opprimées s’y rallient : Grecs, Arméniens, Nestoriens, Latins, ne sont les uns pour les autres que des raïas de la Turquie. Quant aux subtiles controverses qui ont divisé leurs pères, personne ne les comprend plus ; nul ne se pose, vis-à-vis de l’Europe, en état d’hostilité religieuse et politique ; on l’admire au contraire, on voudrait, peut-être à tort, réédifier, d’après les modèles européens et trop servilement, l’état social que ces populations rêvent pour elles-mêmes. Persuadées que c’est en Angleterre, en France et en Allemagne que se déve-