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ment, de tout, excepté du but spécial de la mission. Le lendemain l’envoyé du président rendit les visites qu’il avait reçues ; il alla d’abord chez le général Tzavellas, un des héros de Missolonghi, un des hommes les plus considérés de l’armée. Il s’adressa au patriotisme du chef rouméliote, et il obtint de lui que, renonçant à son grade, il accepterait le commandement d’une chiliarchie avec le titre de colonel. Après un pareil exemple, quel chef eût osé se montrer récalcitrant ? Ce que Tzavellas avait fait, ce que le général Colettis conseillait, tout le monde se résigna à le faire, et en huit jours cette nouvelle organisation, jugée à l’avance impraticable, était achevée. M. Colettis revint aussitôt à Égine, où il rendit compte de sa mission.

Le président s’occupait alors de divers points de politique intérieure, essayait de faire renaître l’agriculture et instituait quelques écoles primaires. MM. Ypsilantis et Church avaient été nommés au commandement des deux divisions de l’armée opérant hors du Péloponèse. On essayait péniblement d’organiser des tribunaux réguliers ; les efforts pour se procurer de l’argent du dehors étaient encore plus laborieux. À peine fixé en Grèce depuis trois mois, le président se trouvait déjà en opposition avec les notabilités du pays. Les lettres qu’il écrivait en Europe continuaient cet étrange système de dépréciation de la Grèce qu’il avait adopté depuis sa nomination. Ce dénigrement ne lui suffisant pas, il voulut s’entourer d’étrangers. Au lieu de choisir ces nouveaux soutiens parmi ceux qui avaient donné au pays quelques preuves de leur attachement, il appela sa propre famille et une multitude de Corfiotes affamés, qui se précipitèrent sur les places et sur les honneurs comme une nuée de corbeaux. M. Viaro Capodistrias, son frère, et M. Gennatas, tous deux complètement inconnus en Grèce, parurent les premiers, en qualité de membres du panhellénium, l’un présidant la section de la guerre, l’autre celle de l’intérieur. Pendant ce temps, M. Mavrocordato remplissait une mission tout-à-fait subalterne à Grabousa, et M. Colettis, nommé commissaire de santé, allait organiser la quarantaine dans la petite île de Spetzia. Les chefs restés à Nauplie étaient mal vus, mal reçus. Une hauteur dédaigneuse, une sécheresse extrême de paroles et de maintien, accueillaient les observations de ces hommes auxquels une vie libre et presque sauvage, l’habitude du commandement avaient inspiré une fierté tout antique. Bientôt ils s’aperçurent qu’on les dédaignait et qu’on voulait qu’ils le sussent. De ce moment, tout fut dit entre eux et le président.

M. Capodistrias, qui avait déjà près de lui son frère Viaro, fit venir aussi le comte Augustin, son second frère, dont rien n’égalait la morgue, sinon sa déplorable nullité. Le comte Viaro n’avait, lui, froissé aucun amour-propre, on ne pouvait lui reprocher que le fait seul de sa venue et la haute position qu’il occupait au détriment d’un plus digne ; mais la conduite prudente et réservée qu’il garda toujours devait le soustraire à l’animosité publique. Le comte Augustin dédaigna cet exemple honorable. L’excès de son opiniâtreté et de son ambition ne contribua pas peu à dépopulariser le gouvernement.

Bientôt l’assemblée nationale allait se réunir. Des griefs importans pou-