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CAPODISTRIAS.

vaient faire pressentir des réclamations assez vives. M. Capodistrias, pour éviter des explications trop approfondies dont il redoutait les suites, voulut s’emparer des élections. Il prétexta la nécessité d’assurer l’indépendance des électeurs vis-à-vis des primats, et institua un scrutin secret qui devait avoir lieu en présence et sous la direction du commissaire extraordinaire de la province, magistrat revêtu de tous les pouvoirs civils. Il indiqua même à ce fonctionnaire les candidats qui devaient être écartés ou présentés.

L’armée du général Maison entra en Morée ; nouvelle occasion pour le président de faire sentir aux Grecs ce que valait le chef qu’ils avaient choisi. « Sans la présence de M. Capodistrias, disaient ses partisans, le roi de France nous eût-il envoyé un seul homme ? L’Angleterre, la Russie surtout, ne l’eussent pas permis. C’est lui qui sauve la patrie. Mais sachez-le bien, ces baïonnettes lui obéissent, et il peut les tourner contre ses ennemis ! » Le chef du gouvernement ne voulait pas à toute force se confondre avec la nation ; il voulait tenir sa puissance de l’extérieur. Après avoir repoussé les étrangers venus de l’Orient, les Grecs allaient-ils se livrer à un étranger venu du Nord ? Peu de temps après l’arrivée en Grèce des troupes d’expédition françaises, les puissances envoyèrent leurs plénipotentiaires à Poros. Là commencèrent ces longs débats qui ne devaient aboutir qu’à l’ajournement d’une question, soluble alors dans un sens pacifique, mais que certains gouvernemens par cupidité et quelques autres par aveuglement ne voulaient pas terminer si tôt. La question d’Orient se présentait tout entière dans les discussions qui allaient s’ouvrir. Les Grecs, las d’une domination agonisante, avaient relevé la tête trop tôt ; ils avaient engagé le fer avant l’heure.

La puissance turque penchait toutefois vers sa ruine prochaine. En admettant comme certaine sa dissolution, qui recueillerait son héritage ? Les Grecs étaient bien les successeurs légitimes de leurs conquérans, successeurs peu dangereux pour le repos européen. Leurs droits sont incontestables. Aptes à posséder le sol, ils le sont également à en tirer les richesses qu’il contient ; ils sont tout disposés à entrer dans le système de confédération pacifique auquel les puissances prétendent travailler depuis 1815, et dans lequel elles ont fait tant d’efforts infructueux pour attirer la Turquie. En mettant les Grecs en mesure d’entrer, à la mort du détenteur actuel, en possession de leur domaine, ce n’est pas eux seuls que l’on favorise, ils ne sont pas les seuls qui gagnent ; l’Europe entière y trouve un gage de paix et de repos.

À une combinaison si naturelle, la diplomatie préfère le statu quo impossible qui laisse un vague espoir à l’ambition de chaque puissance. La Russie ne veut pas perdre de vue Constantinople ; l’Angleterre suit la route de l’Inde par l’Égypte et la Syrie. Ces deux grandes rivales se mesurent de l’œil, et, dans l’impuissance où elles sont l’une et l’autre d’éteindre sans retour les prétentions de l’adversaire, elles se disent à demi-voix : « Partageons ! » Elles savent bien que leur accord factice ne peut être durable, et qu’aussitôt le pillage achevé, lorsque le pavillon britannique touchera le drapeau russe sur la frontière, la guerre commencera ; mais on n’en est pas encore arrivé là. On compte