Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/262

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
258
REVUE DES DEUX MONDES.

sur les évènemens, on s’en remet au temps, de nos jours si vanté par les hommes politiques. Ingrat par impuissance le temps n’a réalisé aucune des merveilles que l’on attendait de lui. En ajournant les grands problèmes dont on lui a laissé la solution, il ne les a pas anéantis, mais compliqués.

Les plénipotentiaires de Poros, méconnaissant à demi le caractère irrécupérable de la révolution grecque, en ont fait un soulèvement causé par quelques excès du pouvoir ; les patriotes hellènes ont été des rebelles heureux. Ils les traitèrent en conséquence, et proposèrent d’abord de réduire le territoire du nouvel état au Péloponèse et à quelques îles. Ainsi constituée, la Grèce devait vivre sous le protectorat des trois puissances, n’agir que sous leur approbation, et éviter, sous peine de disgrace, toute collision avec les Turcs. On rendait Candie au sultan et la diplomatie, parfaitement satisfaite, se reposait avec orgueil sur une aussi belle conception, qui cependant mérite à peine un sérieux examen. Soumettre la destinée d’une nation aux hasards de l’alliance de trois peuples qui, demain, peuvent ou plutôt doivent s’entr’égorger, désarmer cette nation, méconnaître et l’origine de la lutte qu’elle soutient et la nature de ses droits, est-ce là résoudre une difficulté politique ? Néanmoins, telle était en France l’ignorance des affaires de la Grèce, que les gens les mieux intentionnés n’ont vu dans la décision des plénipotentiaires de Poros qu’un seul vice, celui de trop restreindre les frontières ; depuis, ils ont été satisfaits. Les limites ont été élargies ; on les a portées jusqu’à la double chaîne de montagnes qui coupent le continent de l’est à l’ouest, entre les golfes d’Arta et de Volo.

M. Capodistrias, en attendant la réunion de l’assemblée nationale, s’occupa de l’instruction publique ; mais, dans les établissements qu’il fonda, la science était distribuée d’une main avare, et l’étude religieuse prévalait extraordinairement. On ne laissait lire, dans les écoles, que certains auteurs grecs défigurés ou tronqués. Des tribunaux furent établis, et, sous le prétexte qu’ils n’étaient que provisoires, on décida qu’une formule ajoutée au bas d’un jugement par le président en suspendrait l’exécution jusqu’au temps où des juges réguliers statueraient définitivement. Ainsi, un homme était accusé ; un procès se poursuivait devant les juges ; le bon droit reconnu et la sentence rendue, il suffisait de la volonté du président pour détruire l’œuvre de la justice. Peut-on concevoir rien de plus monstrueux ?

À un régime provisoire la simplicité des rouages convient mieux qu’à tout autre ; M. Capodistrias sembla s’attacher à entraver son gouvernement par les décisions les plus arbitraires et les plus difficilement applicables. Des attaques à la liberté de la presse découlaient inévitablement de ce système, et bientôt ce droit, dont les Hellènes usaient largement depuis 1822, fut entouré de mille obstacles, l’exercice en fut gêné par la promulgation d’ordonnances cauteleuses ; enfin à de si déplorables erremens un espionnage sans exemple vint ajouter ses persécutions. M. Capodistrias se conduisait d’une manière trop imprudente envers les chefs grecs pour ne pas redouter leurs actes et même leurs pensées. À toute heure, à toute minute, des espions observaient leurs démarches et en rendaient compte. Mais à peine les personnes surveillées