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refuser ; elle assura qu’il ne fallait point heurter de front un caractère aussi têtu, et qu’on obtiendrait tout de lui par longueur de temps. La Guette promit qu’il serait soumis. Le respect dont il était pénétré pour le père de son amie était un sûr garant de sa patience, au cas où il s’élèverait quelque obstacle. On lui ouvrit donc la porte du cabinet où M. de Meurdrac comptait avec son fermier. Notre gentilhomme y entra sur la pointe du pied, en faisant signe au père de ne pas se déranger, et il s’assit dans un coin en attendant que le compte fût achevé.

— Je suis à vous sur l’heure, dit le bonhomme.

Et tout en écrivant ses chiffres, il demanda poliment au cavalier s’il était satisfait de sa campagne. Cependant il s’embrouilla dans les calculs en écoutant la réponse ; il jeta sa plume au nez du fermier, en lui disant de revenir plus tard, et se tourna vers La Guette en s’écriant, avec une impatience que le désir d’être civil déguisait fort mal :

— Causons donc de sornettes, puisque les affaires sont interrompues !

Notre jeune homme sentit le feu lui monter aux oreilles, mais il se contint de toutes ses forces, et débita un compliment dont il se tira de travers. Entre gens de même caractère, il faut qu’on s’aime dès l’abord ou qu’on se prenne en aversion. Il n’y a point de milieu entre les sentimens extrêmes, et c’est souvent un hasard de rien qui décide si la balance penchera pour l’amitié ou pour la haine. Le succès de notre cavalier tenait donc à un cheveu ; d’un mot, il pouvait gâter ses affaires et se mettre à lui-même cent bâtons dans les jambes, faute d’un peu de douceur.

II.

La Guette n’était pas un sot. Il savait qu’on ne plaît pas aux pères de même qu’à leurs filles, et que de bons écus et de belles terres avaient plus de prix aux yeux de Meurdrac que les qualités du cœur et les agrémens de la figure. Il s’y prit donc en homme habile, et dit au bonhomme qu’il lui venait demander un conseil. Il parla ensuite de ses biens, en donna le détail, et cela se montait assez haut ; puis il dit qu’il voulait se marier.

— Eh bien ! Répondit le père, ce n’est pas à moi qu’il faut expliquer quelle est votre fortune, mais aux parens de votre belle.

— C’est que vous êtes précisément le père de celle que j’aime, reprit le cavalier.