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de sa fille. Elle gronda la femme de chambre, qui se mit à pleurer ; mais comme le mal était sans remède, Jacqueline eut le bon esprit de ne pas s’en repentir. Pendant trois semaines, La Guette eut des entrevues à la dérobée avec sa femme, en présence de la camériste. Il observa religieusement la convention de vivre chastement, et sa loyauté inspira beaucoup de tendresse à Jacqueline, en sorte qu’au bout de ce temps, lorsqu’il parla du désir qu’il avait d’emmener sa femme chez lui, elle eut compassion de son ennui et consentit à faire déclarer son mariage au père par M. d’Angoulême. La Guette alla donc au château de Gros-Bois et pria le prince de se charger de faire sa paix avec Meurdrac. M. d’Angoulême réfléchit un moment, puis il demanda si la jeune femme était enceinte. À cette question, le gentilhomme un peu confus avoua que le mariage n’était point consommé.

— Corbleu ! dit M. d’Angoulême, êtes-vous fou ? Si Meurdrac apprend cela, il mettra sa fille au couvent, et vous ne la reverrez plus. Allez-vous-en à vos affaires, comme un mari, de chair et d’os, et non comme un simulacre. Vous reviendrez quand je pourrai dire à Meurdrac qu’il est grand-père ; autrement je ne m’en mêle pas.

— Monseigneur, répondit le gentilhomme, je vous obéirai.

Et il s’en retourna auprès de sa femme. Sans doute Jacqueline comprit qu’il fallait obéir à M. d’Angoulême, car, quinze jours de là, le prince, en sortant à cheval, aperçut La Guette et lui cria de loin :

— Eh bien ! me donnez-vous un filleul ?

— J’ai tout lieu de le croire, répondit le cavalier.

— On le voit à votre air satisfait. Demain j’enverrai quérir Meurdrac. Soyez chez moi au coup de midi.

La Guette n’eut garde d’y manquer. On le cacha dans un cabinet d’où il pût entendre la conversation et se présenter à l’improviste si l’affaire tournait à bien. L’écuyer du prince était allé chercher M. de Meurdrac, qui arriva sans rien soupçonner de ce qu’on lui voulait.

— Mon ami, lui dit M. d’Angoulême, je m’intéresse à La Guette, et je vous prie de me dire quelles raisons vous avez de mettre empêchement à son mariage. Il est riche ; il plaît à votre fille. Vous exposez ces jeunes gens à mal faire par votre cruauté.

— Je n’ai point de raisons, répondit Meurdrac, si ce n’est que je déteste La Guette. Il est colère, et il m’a manqué de respect.

— Il vous sied mal de lui reprocher ses colères, à vous qui entrez en fureur trois fois la semaine.