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MADAME DE LA GUETTE.

— On chasse où l’on peut, madame, et si votre mari fait l’empressé ailleurs que chez lui, c’est apparemment que sa femme ne lui plaît guère ; il faut donc avoir vos démêlés avec lui et non pas avec moi.

La reine entendit qu’on se querellait et demanda ce que c’était.

— Votre majesté, dit Jacqueline, devrait mettre à la Bastille ces caillettes qui excitent ses sujets à la révolte et qui nous débauchent encore nos maris. Si j’étais la mère du roi, je les enverrais aux Filles repenties au lieu de leur donner l’embrassade.

La reine était disposée à rire ; elle prit gaiement cette incartade et voulut qu’on se raccommodât ; mais Mme de La Guette n’était pas facile à mener :

— Je veux bien, dit-elle, laisser la vie à cette poltronne ; cependant il me faut une vengeance, et je la tirerai de son cousin. M. d’Avaugour se battra demain avec moi.

— Impossible, s’écria d’Avaugour ; je ne tuerai pas une femme aussi aimable. Vous êtes trop fine lame pour ma cousine, mais pour moi vous ne l’êtes pas assez.

— C’est ce que nous verrons à l’épreuve. Je supplie sa majesté de permettre que nous tirions l’épée.

M. de Guitaut était ravi du courage de Jacqueline. Il s’offrait à lui servir de second. Tous les assistans se mouraient d’envie de voir un duel aussi bizarre, et la reine elle-même en eut peut-être la curiosité ; mais heureusement Anne d’Autriche avait trop de sens et de dévotion pour risquer la vie de deux personnes sur une fantaisie. Elle cessa de badiner, et sermonna si bien madame de La Guette que l’accommodement eut lieu. Afin que le divertissement du combat ne fût point perdu, Guitaut proposa pour le lendemain une joute au fleuret. Notre héroïne y consentit, et comme elle donna la première botte à M. d’Avaugour, elle fut beaucoup applaudie. On prit ensuite la collation dans le jardin du Val-de-Grace. Jacqueline se vit fêtée par tout le monde. Elle apprit alors le nom de la dame qu’elle avait provoquée ; c’était une des premières de la cour et qui depuis eut la bonté pour elle et s’employa en faveur de ses enfans.

Cependant la semaine consacrée au repos étant écoulée, on se dit adieu. Jacqueline partit en carrosse pour gagner Bordeaux. M. de Saint-Olive la mena sans mauvaise rencontre jusqu’à Angoulême. On entra ensuite dans un pays désolé par la guerre civile où l’on ne savait plus en quelles mains on pouvait tomber. Après avoir traversé par des villages fort ravagés, on arriva devant la Tour-Blanche