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MADAME DE LA GUETTE.

valets tournèrent bride et s’enfuirent au galop. Mme de La Guette, abandonnée au milieu de ces brigands, fut obligée de se rendre pour éviter une mort certaine. On lui prit son cheval, sa valise et son argent ; on lui laissa seulement ses armes pour qu’elle eût l’honneur sauf. Une autre femme moins vaillante qu’elle eût perdu le courage au milieu de tant de traverses ; Mme de La Guette montra toute la constance et l’énergie de son caractère en résistant aux coups d’un destin acharné. Rien ne put ébranler son ame. Elle continua son chemin à pied comme une simple pèlerine, et marchait avec autant d’ardeur que ces croisés des temps anciens qui sentaient en eux l’esprit divin les guidant à la délivrance de la terre sainte. Elle se consola de la lenteur du voyage en préparant le discours qui devait convertir M. le prince. Des paysans lui donnèrent asile le soir. On la conduisit tantôt sur des ânes, tantôt dans quelque charrette. Partout on lui faisait bon accueil et on s’empressait à la servir, parce qu’elle gagnait tous les cœurs par son air résolu, son parler cordial et sa gentillesse. Elle mangea du pain noir le plus gaiement du monde, se coucha sur le foin quand elle ne trouva pas de lit, et dormit dans son fourreau, comme disent les gens de guerre.

Un matin, après bien des fatigues, elle atteignit enfin la Dordogne, et s’apprêtait à passer cette rivière dans un bateau, quand tout à coup les sons des trompettes et les roulemens du tambour frappèrent son oreille. Elle vit à peu de distance une troupe de cavaliers qui venaient au galop. Le premier qu’elle reconnut fut M. le prince lui-même.

— Eh ! dit son altesse, n’est-ce pas madame de La Guette que je vois ? Courez-vous après votre mari, ou bien venez-vous remplir votre serment de me servir d’aide-de-camp ?

— L’un et l’autre, monseigneur, répondit Jacqueline. Faites-moi donner un cheval, et si je puis combattre à vos côtés, cette journée sera la plus belle de ma vie.

— Je ne saurais refuser un aussi joli volontaire. Puisque le ciel vous a conduite ici, vous allez voir l’ennemi de près.

Un écuyer amena un cheval, et toute la bande piqua des deux. À un quart de lieue environ étaient embusqués deux régimens du parti des princes qui attendaient un détachement de troupes royales. L’ennemi parut presque aussitôt dans une gorge. On marcha vers lui à l’improviste. Le feu était bien nourri des deux parts. Tous les bruits de la guerre éclataient à la fois, et portaient dans l’ame de notre héroïne cette joie furieuse à laquelle on reconnaît le vrai courage.