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au donjon de Vincennes n’eût changé pour un temps son plaisir en remords.

Les détails du retour de notre amazone n’auraient point de prix après la lecture de son premier voyage ; elle était cette fois protégée par son mari. On courut bien quelques petits dangers ; Jacqueline se fit une blessure au visage, en roulant sur des pierres avec son cheval ; elle tomba aussi dans une rivière où elle faillit se noyer ; elle se démit un bras : ce sont là de ces petits évènemens sans conséquence dont la vie d’une femme vaillante est parsemée. En arrivant au Louvre, Mme de La Guette s’attendait à être reçue comme l’ange sauveur de la cour ; cependant la reine et M. le cardinal l’accueillirent assez froidement ; on l’avait desservie en racontant son exploit contre les troupes royales. M. de La Guette fut encore plus maltraité. Le dépit les prit tous deux ; le mari partit pour la Flandre avec M. de Marsin, et Jacqueline se retira dans sa maison, qui se ressentait fort de l’absence des maîtres.

Mme de la Guette avait alors plus de quarante ans ; c’est l’âge des passions mâles, et le plus beau pour faire la guerre. Le logis et le gouvernement de son ménage lui devinrent insupportables ; rien ne put apaiser son ambition, ni la tendresse de ses enfans, ni les agrémens de la compagnie des environs, qui était pourtant choisie, puisqu’on y comptait les Molé, les dames de Coulanges et la fameuse Mme de Sévigné ; Jacqueline serait tombée en consomption si le calme eût duré. Un matin, sa tête s’échauffa ; elle mit ses filles au couvent, prit ses garçons avec elle, et s’en alla rejoindre son mari, qui était sous les drapeaux du prince d’Orange. La Hollande était un pays turbulent, toujours enfoncé dans quelque ligue politique, et se querellant avec ses voisins ; nul séjour ne convenait mieux à une amazone. Mme de La Guette suivit les troupes, fit le coup de main en plusieurs occasions, et ajouta quelques rameaux à ses lauriers. On sait trop de quoi elle était capable en ce genre, pour qu’il soit nécessaire de dire son humeur martiale, en lui rendant les sentimens plus doux qui conviennent au beau sexe.

Le fils aîné de Mme de La Guette faisait alors ses premières armes c’était un grand plaisir pour sa mère, que de l’accompagner au régiment. Un jour qu’il y eut une escarmouche contre une compagnie de Suisses, le jeune La Guette en vint aux prises avec un ennemi plus robuste que lui, qui le serrait de fort près. Jacqueline reconnut le