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s’abaisser jusqu’à ramasser les mots et les phrases qui se forment et se déforment chaque jour. Aucun Anglais, que je sache, n’a pensé à remuer et à grouper dans un lexique commun les dialectes de la langue anglaise, qui sont encore aujourd’hui à l’état de patois et qui n’ont pas droit au titre de langue spéciale : les dialectes du Cumberland, du Lancashire, du Sommersetshire, l’écossais, l’irlandais, le dialecte des États-Unis, et l’argot bizarre que les métis hindostaniques parlent aujourd’hui. Le livre de M. Haliburton, intitulé le Marchand d’Horloges, ou si l’on veut l’Horloger, quoique la première de ces désignations lui convienne mieux, ne laisse rien à désirer à ceux qui veulent embrasser d’un seul coup d’œil toutes les élégances américaines. D’ailleurs, je l’ai dit, c’est un fort bon livre.

N’y cherchez pas un roman, une histoire, un drame, un traité philosophique, un voyage, un récit, une déclamation, ce livre-patois, écrit par un colon d’Halifax, livre tout rempli d’adages à la Sancho Pança et de contes dignes de Bonaventure Desperiers, est tout bonnement le meilleur et le plus curieux ouvrage que la littérature anglaise, aujourd’hui si pauvre, ait produit depuis cinq ans. Il explique à la fois la civilisation ébauchée et vivante des États-Unis, la civilisation étiolée et nouée du Canada, et la profonde torpeur des possessions britanniques voisines. Il entre dans le détail secret des mœurs privées[1] et fait comprendre tout ce que les voyageurs anglais laissent dans l’ombre. La plupart des voyages aux États-Unis sont fort peu satisfaisans. Un Anglais tory accoutumé au respect et à la vénération de ce qui l’entoure, une actrice à la mode qui vient exploiter l’enthousiasme lucratif des républicains, une économiste romanesque qui regrette de pas trouver par-delà l’Océan Atlantique la réalité de ses illusions, ce sont là des guides peu dignes d’estime et de foi, leur observation s’arrête à fleur de peau, ils n’ont guère que des épigrammes stériles et de frivoles satires à nous offrir comme renseignemens sur un état de civilisation dont l’histoire n’offre pas d’autre exemple, et sur une société à peine formée, mais dont nul ne peut contester la singulière grandeur.

  1. « No, if you want to know the inns and outs of the Yankees, — I’ve wintered them and summered them ; I know all their points, shape and breed ; I’ve tried them alongside of other folk ; and I know where they fall short… where they mate’em, and where they have the advantage… » — « Quant aux Yankies (Américains du sud des États-Unis), si vous voulez connaître leur endroit et leur envers, — je les sais par cœur ; — je les ai pratiqués hiver comme été ; — je connais tout ce qui les regarde, leur généalogie et leurs formes ; — je les ai expérimentés à côté d’autres peuples. — Je sais en quoi ils sont inférieurs, ou supérieurs, ou égaux »

    (Le Marchand d’Horloges. — Ses tristesses, chap. XI).