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LA VIE PRIVÉE DANS L’AMÉRIQUE DU NORD.

duction, sans soustraction et sans avarie. Je spécule que ceux qui ne conviennent pas de cela ne savent pas faire une addition complète, et qu’ils n’entendent rien aux premières règles des chiffres. Il est clair que nous avons la plus splendide location (the most splendid location) qui soit entre les deux pôles ; c’est généralement reconnu. Le plus grand homme de ce temps-ci est assurément le général Jackson ; il passe Napoléon Bonaparte d’un grand bout de craie (by a long chalk). Je ne parle pas de Van Buren, de Daniel Webster, d’Amos Kindle, et de tout un radeau (a whole raft) d’hommes d’état qui vont à tout et sont capables de tout (up to every thing). L’Angleterre donne le fouet au monde, et nous donnons le fouet à l’Angleterre. » Cette dernière sentence est la bien-aimée de Samuel Slick, et revient au bout de toutes ses harangues.

— Savez-vous, dit le marchand d’horloges, pourquoi les gens de la Nouvelle-Écosse, les nez-bleus, comme on les appelle, ne réussissent à rien, tandis que tout nous réussit ? C’est qu’ils parlent toujours, et nous, nous agissons toujours. C’est un fait. Quand nous voulons des paroles, nous en avons pour notre argent. Nous payons les avocats et les orateurs, ceux-là s’en vont au congrès ou devant les juges, et ils s’acquittent diablement habilement de leur mission. C’est un fait. Un nez-bleu dit : « Il est question de partir pour l’ouest ; j’y songerai. » Un Yankee ne dit rien que ces mots : « Vers l’ouest ! » — Et en avant ! Il est parti, droit et vite, comme l’éclair. Chez nous, quand les gens ne travaillent pas, nous ne plaisantons guère, nous les pendons. C’est la loi de la lanterne (lynch-law). Les cinq joueurs de Vixburg ont passé par là. Les bons citoyens font l’émeute, mais une émeute bien organisée, et ils n’y vont pas de main morte, à ce que je suppute. »

« Aussi je calcule que nos citoyens sont les plus éclairés, les plus honnêtes et les plus libres qui soient sur la face du globe ! — Et les plus modestes, interrompit le voyageur. — Ce qui est un fait, reprit Slick sans se démonter, c’est que nous avons le bon bout. Nous allons de l’avant ; nos voisins vont de l’arrière. Nous battons tous les peuples du monde. Nous mangeons vite, nous marchons vite, nous bâtissons vite, et nous vivons vite. Nous avons tant de choses à faire ! Celui-là se lèvera de bon matin et aura ses dents de sagesse bien poussées et bien venues qui nous dépassera. C’est un fait.

— Eh bien ! dit l’étranger, vous êtes satisfaits du présent, sûrs de l’avenir, et votre confiance me charme. La crainte du mal est pire que le mal, mon cher Slick !