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REVUE. — CHRONIQUE.

ajourné du moins par M. le ministre des affaires étrangères. Il s’était nettement refusé à toute explication, à tout débat dans ce moment, sur la question du concert européen. C’était son droit ; M. Berryer et M. Thiers l’ont reconnu. Discuter à la tribune des négociations pendantes eût été en effet pour le ministre manquer à la fois d’habileté et de convenance. D’un autre côté, les orateurs de l’opposition pouvaient-ils discuter tout seuls, sans contradicteurs, sans faits reconnus, sur de simples hypothèses ? La partie paraissait donc remise pour tout le monde.

Mais qui peut s’assurer que dans une assemblée nombreuse, fractionnée jusqu’à l’individualisme, il ne se fera pas quelque mouvement imprévu ? La question politique, qui paraissait ajournée hier, a éclaté de nouveau aujourd’hui. À la vérité, on n’en savait pas plus aujourd’hui qu’hier : le gouvernement persistait dans sa réserve, l’attaque portait nécessairement sur des hypothèses. N’importe : il a bien fallu, bon gré, mal gré, s’élancer à la tribune, et la chambre a été témoin d’un combat singulier entre deux orateurs éminens, entre deux hommes d’état dont la rivalité et la désunion, fait désormais irréparable, nous le craignons du moins, sont une véritable calamité pour le pays. Ils ont aujourd’hui jeté parfois leurs armes courtoises et porté l’un et l’autre des coups auxquels les hommes de parti peuvent seuls applaudir. Pour nous, il en est sorti, avant tout, une preuve nouvelle de cette triste vérité, qu’il devient tous les jours plus difficile de mettre ensemble deux hommes politiques de nuances diverses, et cependant le temps des Sully et des Richelieu est passé sans retour. Dans les pays démocratiques, il n’y a de force réelle et durable que par l’union.

Quoi qu’il en soit, aujourd’hui nous savons, d’une manière officielle, que le concert européen se négocie, et que le gouvernement du roi se propose deux résultats, « l’un, de faire reprendre à la France, dans les affaires d’Orient, une place convenable, sans l’associer à des actes auxquels elle n’a pas cru devoir concourir ; l’autre, de consolider en Europe la paix générale, de la rendre sûre et efficace, sans porter à la dignité, aux intérêts particuliers et à l’indépendance de la politique de la France, aucune atteinte. »

Le but, nous l’avouons, est irréprochable ; mais sera-t-il atteint ? peut-il l’être ?

Là est toute la question. Et c’est là-dessus que M. Thiers a été vif, brillant, incisif. Ce serait manquer d’impartialité que de ne pas reconnaître que les positions des combattans n’étaient pas égales. La réponse directe, précise, M. Guizot ne pouvait pas la faire. Il aurait fallu pouvoir dire : La négociation n’a point blessé notre dignité nationale ; voici, en effet, comment la négociation a été introduite, quelles en ont été les phases, les conditions, les termes. Le résultat en est important et honorable : en preuve voici le préambule, voici les articles du traité. Enfin, les conséquences indirectes du traité n’en seront pas moins considérables ; en voici l’exposition et le détail.

Rien de tout cela ne pouvait être dit sans violer toutes les règles de gouvernement, sans porter le dernier coup à notre diplomatie, qui depuis quelque