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LE SALON.

différent et avec plus d’originalité, ne dépassent guère la portée des précédentes. La plupart, cette année, sont des vues et des scènes des pays septentrionaux ; on n’y voit que neiges, frimas, glaces et brouillards. M. Biard a l’instinct voyageur ; il a visité les lieux et observé les choses qu’il représente ; il a aussi, à un haut degré, le sens imitateur, le sentiment de la couleur locale, et de même qu’il s’accomode et s’habitue, en bon voyageur, à tous les accidens de route et aux manières, mœurs et usages des peuples dont il est l’hôte passager, ainsi fait-il, comme artiste ; il saisit avec justesse, sinon avec profondeur, la réalité des choses, et il la rend avec la même sincèrité. Ses Vues de Laponie sont très intéressantes sous ce rapport ; sa Mort de Ducouedic est remarquable surtout par la couleur locale, et par une fine observation des caractères spécifiques des marins.

M. Biard a aussi, comme on sait, pris à tâche de faire tous les ans rire le public, et il y réussit assez bien, quoique pas aussi bien que tant d’autres qui n’y prétendent pas. Son comique n’est certes pas celui de Molière, mais il approche quelquefois de celui de Vernet et d’Odry. Ne soyons pas trop exigeans. Cette année il nous a donné pour notre régal d’usage les Gros péchés, la Demoiselle à marier, et la Distraction. On lui dispute pourtant son monopole. M. Pigol continue toujours sa lutte inégale, mais son Assaut du matin est une défaite complète. Le Barbier, de M. Guillemin, ne doit pas non plus trop inquiéter M. Biard, mais il a à se garder de M. Gros-Claude, dont les Trois Commères engendrent des rires inextinguibles, qui paraissent sincères, quoiqu’il soit difficile de faire descendre l’art à un tel niveau de bassesse et de trivialité.

Nous aurions dû déjà nous arrêter devant la Partie d’échecs, et dire, sans hésiter, que ce tableau microscopique est le morceau capital du salon. En effet, c’est une œuvre complète et achevée en son genre ; elle atteint ce degré de perfection relative, qui, sans être le dernier, en tient lieu. Rien de plus rare, dans notre temps, qu’un ouvrage d’art bien fait, dans le sens rigoureux du mot. En littérature, en peinture, en sculpture, en toutes choses nous ne savons faire que des ébauches ; nous manquons toujours, soit par excès, soit par défaut, cet équilibre des proportions, cette pondération des qualités, ce point exquis de justesse, qui fait les œuvres accomplies. Aussi, avec les plus beaux talens, nous n’avons pas de beaux ouvrages. Le tableau de M. Meissonnier, est, comme son Liseur de l’an passé, un petit phénomène exceptionnel sous ce rapport. Comme expression et composition, il serait difficile d’être plus délicatement et plus profondément