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HISTORIENS MODERNES DE LA FRANCE.

d’exploitations auxquelles les conquérans normands et leurs fils, à partir de Guillaume-le-Bâtard et ses compagnons, jusqu’à Charles Ier et sa chambre des lords, soumirent ou essayèrent de soumettre la race anglo-saxonne. Ce morceau de pure polémique, élevé, dix ans après, à toute la gravité de l’histoire, devint dans la Revue trimestrielle, à propos de l’ouvrage de Henri Hallam, Constitutional history of England, une judicieuse exposition de la constitution anglaise, et a mérité d’entrer en partie dans la conclusion qui couronne si dignement l’Histoire de la Conquête de l’Angleterre par les Normands.

L’entraînement de la polémique n’a pas conduit seulement M. Thierry vers l’important sujet de la conquête normande, où il trouva l’occasion d’acquérir une si haute renommée ; la revendication exclusive que le parti ultrà-aristocratique osait faire, à son profit, de la nationalité franque, appelait naturellement les représailles des descendans supposés de la nationalité gauloise. Né roturier, comme il le dit, M. Thierry se hâta de relever le gant jeté à la roture avec tant de jactance. Il fit plus, il regarda, en quelque sorte, comme un devoir de piété filiale de restituer aux classes moyennes et inférieures leur part de gloire dans nos annales, de recueillir les souvenirs d’honneur plébéien, d’énergie et de liberté bourgeoises. À ceux qui ressuscitaient dans une intention hostile les souvenirs, qu’on pouvait croire depuis longtemps effacés, de la conquête germaine, il crut qu’il était de bonne guerre de répondre par le souvenir des soulèvemens populaires et de l’affranchissement des communes. En 1817, M. Augustin Thierry, rendant compte dans le Censeur de la correspondance de Benjamin Franklin, invoquait déjà la mémoire de nos aïeux, « ces artisans énergiques qui fondèrent les communes et imaginèrent la liberté moderne. » Cette assertion, précisément inverse de la fameuse proposition de Montesquieu, M. Thierry l’a commentée de toutes les manières, comme publiciste et comme historien, par la dissertation et par le récit, par des articles de journaux et par des livres. Il a voulu prouver, par toutes les voies, qu’en France personne n’est l’affranchi de personne, et qu’historiquement, aussi bien que rationnellement l’égalité des droits n’est pas un vain mot.

Et qu’on ne dise pas que dans cette lutte il n’a montré de sympathie que pour la bourgeoisie des villes, et qu’il a oublié ceux qui avaient eu à supporter la plus grande part de souffrances Non, cette accusation n’est pas fondée. M. Thierry n’a établi aucune distinction dans la sympathie qu’il éprouve pour toute la masse roturière