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dans ses Lettres sur l’Histoire de France, de faire, comme il disait, à la fois de l’art et de la science, et d’être dramatique en n’employant que des matériaux obtenus par des recherches directes et scrupuleuses.

Deux grands sujets s’offraient à sa plume ; deux sujets qu’il avait déjà étudiés, médités, sur lesquels il avait même, à plusieurs reprises, risqué des tentatives partielles : l’histoire de l’établissement des race germaniques sur le sol de la France, et l’histoire de l’établissement des Normands sur le sol de l’Angleterre.

Quand je parle ici de ces deux évènemens comme de deux sujets distincts, je n’entre pas suffisamment dans le point de vue de M. Thierry. Pour lui, ces deux révolutions ne sont que deux épisodes d’un fait plus vaste et plus général, deux applications de la marche suivie par les barbares dans l’invasion et la conquête de l’Europe. Ne pouvant traiter, dans toute son étendue, le grand sujet des invasions barbares, ni suivre ce fait immense dans toutes ses ramifications, M. Thierry dut faire un choix et s’arrêter d’abord à la partie de ce vaste ensemble qui pouvait le mieux donner l’idée du tout. Il inclina vers la conquête de l’Angleterre par les Normands, la dernière en date des conquêtes barbares et celle qui se trouve, à ce titre, la plus riche en documens variés et certains. Il la préféra comme étant la plus propre à montrer, dans la dépossession d’un peuple par un autre peuple, l’histoire et en quelque sorte la loi de toutes les dépossessions territoriales Il se livra tout entier à ce travail qui lui permettait à la fois de démontrer ses vues d’historien et de réaliser ses théories d’artiste.

Bien que les années 1821 et 1822 aient été marquées en politique par un redoublement de violence entre les partis, et que la portion la plus énergique de la jeunesse libérale, débusquée des brochures et des journaux par la censure, se fût réfugiée dans des affiliations secrètes, il est permis de croire que M. Thierry, tout en prenant part à ce mouvement, auquel il ne put ni ne voulut rester étranger, n’éprouva, cependant, de cette effervescence momentanée qu’une assez faible distraction. Ses idées, ses méditations, ses efforts, tendaient à un autre but. Sans doute aucune de ses convictions n’avait fléchi ; mais une passion nouvelle le possédait presque tout entier. Pendant ces deux années silencieuses et solitaires, plongé dans un nombre infini de recherches préparatoires, courant d’une bibliothèque publique à une autre bibliothèque, réunissant, classant, disposant ses matériaux, courbé, des journées entières, sur les chroniques danoises et anglo-saxonnes dont les grandes pages prenaient