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REVUE DES DEUX MONDES.

Deux jeunes chasseurs ont passé tout le jour dans la montagne. L’ardeur de la chasse les a entraînés bien loin de tout endroit habité : la nuit vient ; ils se réfugient dans une masure abandonnée, située au fond d’un ravin qu’ombragent des sapins aux formes fantastiques et qu’environnent de tous côtés d’horribles précipices.

Les deux chasseurs profitent des dernières clartés du crépuscule pour entasser dans le centre de la cabane des branches de sapin et de hêtre auxquelles ils mettent le feu. Tirant ensuite de leur sprochan les meilleures pièces du gibier qu’ils ont tué, ils les attachent à de longs bâtons et les approchent du feu pour les faire rôtir. Le gibier cuit, ils le tirent du feu, et tous deux, égayés par la flamme qui pétille, commencent un bon souper, buvant de copieuses rasades de whiskey et chantant de toutes leurs forces les plus joyeux couplets qu’ils peuvent se rappeler ; il est déjà minuit, et les échos du vallon solitaire répètent encore leurs chansons bruyantes.

Tout à coup, au moment où leur appétit commence à se calmer et où leur gaieté est arrivée à son plus haut point, l’un d’eux s’arrête, et regardant son compagnon en riant : — Nous avons du bon feu, du whiskey, et par-dessus le marché une musique fort passable, lui dit-il. Ne trouves-tu pas cependant qu’il nous manque encore quelque chose ?

— Oui, réplique son ami ; tu as raison, il nous manque deux jolies filles qui veuillent bien s’asseoir à nos côtés et partager notre souper.

— Chut, chut ! répond le chasseur qui a parlé le premier ; chut ! n’entends-tu pas, tout près de notre maisonnette, des voix douces qui semblent répéter les airs que nous venons de chanter ?

— Je les entends, et j’entends en même temps le bruit harmonieux de leurs pas ; tiens, les voici qui entrent.

En effet, la porte de la chaumière s’ouvre seule, et deux jeunes filles d’une merveilleuse, mais singulière beauté, entrent dans la chambre en chantant et en dansant. La mise de ces folâtres beautés était étrange comme leurs charmes ; toutes deux étaient vêtues d’une robe de soie d’un vert éclatant. Leurs blanches épaules et leur sein d’ivoire semblaient vouloir s’échapper des plis de la robe, comme l’écume d’un torrent se soulève et se répand sur le rivage. Toutes deux étaient si jeunes, qu’on eût dit des enfans, et cependant, à leur taille élevée et au gracieux contour de leurs visages, on reconnaissait des femmes. Leurs cheveux noirs et abondans étaient retenus par des nœuds de rubans verts. Tandis qu’elles dansaient et folâtraient autour des chasseurs, les yeux bleus des deux femmes brillaient tout à la