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centaine de messieurs et de dames, qui les faisaient aussi bien que moi ; il n’y avait pas de remède à cela. Le rhythme paraissait monotone, et l’inventeur et ses inventions allaient devenir méprisables… Je cherchai donc un moyen de satisfaire mon goût pour les lettres soit publiquement, soit en me cachant sous le voile de l’anonyme ; c’est alors que je publiai mon premier roman. » Aujourd’hui le public est tout aussi fatigué de romans qu’il a jamais pu l’être de poèmes. Ce n’est pas seulement une centaine de messieurs et de dames, mais un millier de personnages de toute espèce, qui ont étudié les nouveaux tours du grand romancier, et qui les font presque aussi bien que lui. Le roman fashionable et le roman économique ont fait diversion pendant quelques années et ont réveillé le lecteur qui commençait à s’assoupir ; c’étaient le galoubet et la crécelle qui se mêlaient aux timbales et aux cornemuses ; aujourd’hui la cornemuse a repris le dessus, à Édimbourg du moins. M. Wilson, l’auteur des Border-Tales, et M. Lauder[1], ont recommencé le concert interrompu. Les revues écossaises se plaignent, il est vrai, de l’invasion du genre pseudo-sentimental qu’ils qualifient d’immoral, de morbide et de malsain (unhealthy), et qu’ils appellent nécessairement le genre français[2]. Les critiques écossais se sont trompés, ce n’est pas de l’invasion du genre français, mais de l’invasion du genre ennuyeux qu’ils devraient gémir. Rien de moins français en effet que ces stupides histoires de souterrains et de spectres, que ces longs mélodrames dialogués que MM. James et Ainsworth ont mis à la mode. Ces récits d’une immoralité si maniérée, tout ce babil aristocratique et ce prétentieux commérage qui remplissent maints volumes publiés à Édimbourg ou à Londres, sont également tout-à-fait du pays. Chez nous, le vice est moins fardé, et les défauts et les qualités ont quelque chose de plus naturel et de plus franc. Que messieurs les critiques d’Édimbourg et de Londres déclament tant qu’il leur plaira contre le genre français ; pour notre part, nous ne voudrions pas échanger un seul des romans de MM. Mérimée et George Sand, ni la plus petite nouvelle de M. Alfred de Musset, contre la masse compacte de tous les romans écossais ou anglais du dernier semestre, dût-on encore nous donner en retour les poèmes de M. Sterling et les chants et ballades de M. Imlah, les deux lions poétiques du moment. Les

  1. Legendary Tales of the Highlands a sequel to Highlands Rambles, by sir T. D. Lauder, 3 vol., 1841.
  2. A production of this class which disgrace modern France. (Tait’s Magazine, vol. IV, p. 534.)