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L’ÉCOSSE.

La civilisation comme l’eau d’une mer que déplacerait un mouvement d’oscillation insensible, tend à se porter, en effet, d’une extrémité à l’autre du vaste bassin de l’Europe : après avoir débordé pendant des siècles vers le midi, elle abandonne ces contrées long-temps privilégiées et incline, de nos jours, vers le Nord. Des provinces entières de l’Espagne et de l’Italie méridionale redeviennent incultes et semblent retourner à la barbarie, tandis que les steppes de la Russie voient des villes s’élever dans leurs solitudes, et que les montagnards de l’Écosse, que naguère on distinguait à peine des nations sauvages de l’Amérique du Nord, ont peuplé d’ouvriers industrieux les comtés de l’ouest du royaume-uni. Là, tout est nouveau, tout est prodigieux. L’industrie, comme une de ces fées des légendes scandinaves, a frappé la terre de sa verge de fer, et en a fait sortir, comme par enchantement, de riches bourgades, des cités florissantes et des légions de travailleurs. Telles de ces villes, comme Édimbourg, Aberdeen et Glasgow, ont vu leurs limites s’étendre et leur population s’accroître dans de rapides et merveilleuses proportions ; d’autres villes secondaires, comme Dundee, Greenock, Leith et Paisley, ont pris la place d’obscurs villages, et promettent de rivaliser un jour avec Manchester, Birmingham ou Liverpool. Les forces de la vapeur, régularisées par Watt, ont centuplé les forces de l’homme. Les accidens du pays même ont été mis à profit par de hardis ingénieurs, les Stevenson, les Baird, les Jardine. Les lacs du centre de l’Écosse, réunis par des canaux, conduisent des flottes entières à travers des montagnes élevées, et l’on voit avec étonnement glisser des voiles rapides sur leurs pentes abruptes, et des forêts de mâts se mêler aux forêts de sapins qui les couvrent. Des chemins de fer courent en même temps dans les vallées et dans les plaines, et joignent les villes entre elles. L’impulsion civilisatrice, une fois donnée, a pu se ralentir par instans, elle a pu même s’arrêter ; mais toujours elle a repris son élan avec une incalculable puissance et une énergie sans pareille. À la suite de l’union des deux royaumes, l’Écossais, dépossédé de ses lois antiques et de sa nationalité, s’agitait dans son inquiète et aventureuse ambition ; l’industrie, l’intelligence et la liberté, ces trois magiques sœurs des temps modernes, l’ont rencontré à la limite de ses bruyères incultes, au bord d’une houillère entr’ouverte ; elles l’ont salué comme Macbeth dans les champs de Forres, et lui ont crié : Travaille, et tu seras roi !


Frédéric Mercey.