Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/444

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
440
REVUE DES DEUX MONDES.

de ce royaume en province romaine, Rome ne renonça même pas encore à se servir en Afrique de l’entremise des chefs indigènes.

Sur les côtes, tout était Romain, les magistrats et les habitans, les lois et les mœurs ; mais dans l’intérieur du pays, et surtout dans les deux Mauritanies, le pouvoir était partagé avec les chefs des tribus indigènes. Là, le gouvernement était mixte comme la population elle-même. L’histoire de la révolte de Firmus sous Valentinien fait connaître l’état singulier de ce pays. Nous y voyons des espèces de principautés désignées par les Romains sous le nom de fundi, ayant une petite forteresse qui sert de centre et où habite le chef. Ce chef paie tribut aux Romains ; il est pourtant presque indépendant. Ainsi Firmus est fils d’un petit roi maure de ce genre, nommé Nubal ; et ce Nubal a beaucoup d’enfans, dont les uns sont au service des Romains, comme Zamma et Gildon, et dont les autres sont des chefs de tribus, tantôt soumises aux Romains et tantôt révoltées. Parmi ces tribus habitent des Italiens, des chrétiens, dont les évêques sont même employés par Firmus auprès du général Théodose pour obtenir la paix. Souvent aussi la même peuplade a un chef indigène et un préfet romain. C’est enfin le plus singulier mélange d’autorités diverses et d’idées contradictoires, car les mêmes tribus qui se révoltent contre Rome semblent cependant lui reconnaître une sorte de suprématie et le droit de conférer le pouvoir. Ainsi, quand Firmus[1] se déclare indépendant, c’est un tribun des troupes romaines, passé sous les drapeaux des rebelles, qui le couronne avec un collier militaire, et cet ornement semble un diadème légitime, parce qu’il est romain. Il y a plus : les tribus indépendantes des montagnes ne reconnaissent pour chef que celui à qui l’empereur a conféré les insignes du commandement[2]. Singulier hommage rendu à la grandeur romaine, et qui n’a point droit de nous étonner, car au moyen-âge il fallait que les empereurs d’Allemagne allassent aussi se faire couronner à Rome, qui semblait encore le sanctuaire du pouvoir. Les empereurs pouvaient combattre le pontife romain, mais ils devaient recevoir de lui l’investiture souveraine.

Qu’il me soit permis, à ce sujet, de faire un rapprochement et une réflexion.

Cette idée que les Maures avaient des Romains et de leur droit de

  1. Ammien Marcellin, liv. XXIX, chap. 5.
  2. « C’est la loi chez les Maures, même quand ils sont en guerre avec les Romains, de ne prendre pour chef que celui que l’empereur a investi de ce titre. » (Procope, de Bello Vandalico, livre Ier chap. 25.)