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L’AFRIQUE SOUS LA DOMINATION FRANÇAISE.

suprématie, nous l’avons retrouvée en Afrique, et nous nous en sommes servis ; mais nous ne nous en sommes pas servis avec assez de confiance. Habitués à obéir au maître d’Alger, les Arabes, après la conquête, nous demandaient des chefs, et nous leur en avons donné. Malheureusement ils se sont bien vite aperçus que nous n’avions pas, en leur donnant des chefs, la même idée qu’ils avaient en nous les demandant. Comme c’est le peuple le moins révolutionnaire du monde, quoique le moins docile au joug, ils paraissent croire que le pouvoir n’est pas quelque chose d’humain et qu’on peut créer à volonté. Aussi ils le cherchent non point en eux-mêmes, non point dans la tribu rassemblée, ils le cherchent dans ce qu’ils sentent au-dessus d’eux, dans la force victorieuse et conquérante qui brise les murailles, ou dans la religion qui inspire les prophètes, dans les Français qui ont conquis Alger, ou dans le descendant des marabouts, dans Abd-el-Kader. Quant à nous, notre tort peut-être, c’est de n’avoir pas cru davantage à la légitimité de notre pouvoir. Mais, hélas ! comment croire en Afrique que le pouvoir est quelque chose de divin quand on vient à Paris de le briser en trois jours comme quelque chose d’humain et de le briser justement, si bien que contre l’idée de la divinité du pouvoir il y avait pour nous les deux plus puissans argumens de la terre, le souvenir de son injustice et l’exemple de sa faiblesse ? Voilà, disons-le franchement, ce qui nous a trompés ; voilà pourquoi il nous a paru tout simple, à la Tafna, de traiter avec Abd-el-Kader. N’était-ce pas un pouvoir légitime, puisque c’était un pouvoir né du pays et créé par le consentement des tribus ? Aussi l’avons-nous reconnu, et par là nous lui avons, pour ainsi, dire donné l’investiture qui lui manquait, et nous l’avons donnée, ce qu’il y a de pis, en révélant du même coup aux Arabes que nous ne croyions pas avoir le droit de la donner.

Mieux avisés que nous de ce côté, les Romains ont toujours paru penser qu’il y avait en eux je ne sais quel droit mystérieux de commandement.

Tu regere imperio populos, Romane, memento.

Ils se sont crus nés pour l’empire ; aussi ont-ils régné. Dès la république, le sénat, quand il voulait récompenser les rois alliés, leur envoyait quelques insignes des magistratures romaines, une chaise curule, un bâton d’ivoire[1], comme pour consacrer et fortifier par

  1. Voy. Tite-Live, 30-15. — « Tibère donne au roi de Mauritanie Ptolémée scipionem eburnum, togama pictam, antiqua patrum munera. » (Tacite, 4-26.)