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L’AFRIQUE SOUS LA DOMINATION FRANÇAISE.

autour des villes, la zône demi-civilisée et demi-barbare, celle des fundi et des colonies militaires, et enfin la zône barbare.

Avec quelque sagesse que le gouvernement des Romains fût approprié à ces différentes zônes, il y a une chimère cependant que Rome n’a jamais possédée, je veux dire cette Afrique tranquille et calme que nous rêvons impatiemment, cette Afrique pleine de tribus maures résignées au joug, et de villes européennes vivant doucement sous la loi de gouverneurs toujours justes et toujours honnêtes. Pendant la domination romaine, l’Afrique civilisée se plaignait fort souvent de ses gouverneurs, tantôt à tort, tantôt avec raison, et l’Afrique barbare se révoltait aussi fort souvent. C’est par ces deux derniers traits que je veux finir le tableau de la domination romaine en Afrique, ne fût-ce que pour nous engager à ne pas croire trop de mal de nous et de nos efforts en Afrique, en croyant trop de bien de nos devanciers.

Les plaintes que les villes africaines adressaient à l’empereur et au sénat romain accusaient parfois la cruauté des gouverneurs, mais plus souvent leur cupidité ; car c’est là le vice dominant des vieilles civilisations. La cruauté était ordinairement condamnée, et la cupidité acquittée. Tacite explique cela d’une façon piquante et d’un mot : « Silvanus, dit-il, fut absous, il était riche, sans enfans et vieux ; mais sa vieillesse dura plus que la vie de ceux qui l’avaient absous pour en hériter. » Quelquefois aussi le gouverneur était accusé parce qu’il était juste et ne voulait pas céder aux prétentions des habitans ; ainsi les Cyrénéens, s’étant emparés des terres qui faisaient partie du domaine public, accusaient vivement Acilius Strabon, qui les revendiquait au nom de l’état[1].

Pendant que l’Afrique civilisée faisait des procès à ses gouverneurs, l’Afrique barbare se révoltait. La révolte de Tacfarinas, sous Tibère, a cela de curieux, qu’elle éclata au moment où la puissance romaine semblait le plus affermie, comme pour montrer qu’il y a dans toutes les dominations établies en Afrique un coin d’instabilité qu’on ne peut pas éviter, mais qu’il ne faut pas s’exagérer par la crainte. Tacfarinas était un Numide qui avait servi d’abord sous le drapeau des Romains, mais qui, ayant déserté, s’était mis à la tête d’une bande de pillards. Quelques incursions heureuses ayant enrichi sa bande, il eut bientôt une petite armée, et enfin il devint le chef des Musulans, nation puissante qui, selon Tacite, vivait près des déserts

  1. Tacite, 14-18.