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partout comme des chefs-d’œuvre d’art, proviennent tous de maîtres illustres à d’autres titres. Ce sont ceux de Holbein, de Rubens, de Van-Dyck, de Rembrandt, de Velasquez, de Raphaël, de Titien ; et parmi les contemporains, ce sont ceux de David, de Gros, de M. Ingres. La cause de ce fait est évidente. Il est presque impossible qu’un talent d’un ordre un peu élevé puisse se circonscrire dans une sphère aussi bornée que l’art du portrait, et se soumettre aux habitudes que son exercice suppose. L’exploitation de ce genre étant ainsi, en général, forcément dévolue à la médiocrité, il est tout simple qu’il n’en sorte pas beaucoup de chefs-d’œuvre. Mais ce n’est pas tout ; même avec un génie heureux, un portraitiste de profession, ayant toujours à lutter contre l’influence incessante d’idées, d’habitudes et d’études qui lui ôtent peu à peu le sentiment pur de l’art, et l’entraînent plus ou moins vers la routine et le métier, sera toujours surpassé, même dans sa spécialité, par les peintres accoutumés à considérer la nature d’un point de vue plus élevé, sous des aspects plus variés, et exercés par des études beaucoup plus fortes à toutes les difficultés de la pratique. Ainsi, d’une part, l’art spécial du portrait ne convient qu’aux talens insuffisans ou avortés, et d’autre part sa pratique exclusive corrompt inévitablement même les talens forts ; et c’est ce qui explique ces trois choses : l’oubli profond où sont tombés presque tous les portraitistes, l’infériorité absolue et relative de leurs productions comme œuvres d’art, et enfin la supériorité marquée, sous ce même rapport, des portraits exécutés par les peintres non spéciaux.

Ces observations nous paraissent justifier surabondamment notre silence sur la presque universalité des portraits exposés au salon, et la brièveté de nos remarques sur quelques-uns.

Deux portraits méritent surtout d’être exceptés de l’anathème général, le portrait d’homme (grand salon) de M. Amaury-Duval, et le portrait de femme de M. Hip. Flandrin. Ils se distinguent tous deux par des qualités analogues, la pureté et la correction du dessin, par l’étude soignée du modelé, par un goût simple et sévère d’ajustement, et par une exécution habile et savante. Dans le portrait d’homme, ces qualités sont poussées très loin, et même peut-être trop loin. Le travail en est un peu apprêté et tendu, le procédé s’y fait sentir ; l’artiste veut trop prouver. Dans le portrait de femme, il y a moins de système ; la touche paraît plus libre, et plus facile, mais le modelé laisse quelque chose à désirer, il n’est que bien indiqué, plutôt que rendu. Nous ne décidons pas entre ces deux ouvrages distingués.