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REVUE LITTÉRAIRE.

de les étudier, et M. Louis Reybaud a rendu un service dont les gens sensés lui tiendront compte en publiant sa remarquable appréciation des réformateurs contemporains.

Les lecteurs de la Revue des deux Mondes n’ont pas oublié les intéressantes biographies consacrées aux chefs de trois écoles qui ont éclipsé les autres en ces derniers temps, Saint-Simon, Charles Fourier, Robert Owen. Précédée d’une introduction qui expose l’origine et l’enchaînement des utopies antérieures, résumée par une réfutation vigoureuse des vieux sophismes que les novateurs ne se lassent pas de rajeunir, enrichie de pièces piquantes et de recherches bibliographiques sur les travaux des socialistes, la trilogie historique présentée par M. Reybaud est devenue un livre complet[1] : c’est une idée habilement distribuée dans un bon cadre, circonstance à noter aujourd’hui que le sentiment des proportions est si rare dans les compositions littéraires. Je ne puis mieux faire apprécier les difficultés de la tâche que M. Reybaud a choisie, qu’en transcrivant quelques lignes de son avant-propos : « Les hommes, dit-il, que nous avons nommés socialistes, en empruntant ce mot à l’Angleterre pour en user avec discrétion, ces hommes ont un cachet particulier qui ne permet pas de les classer et de les confondre dans une catégorie consacrée. Ils n’aspirent pas à une seule science, mais à toutes. La vie actuelle et la vie future ; Dieu et l’homme, la terre et le ciel, tout est de leur domaine. Ils parcourent le cercle entier de nos relations, et sont à la fois philosophes, législateurs, révélateurs religieux, organisateurs politiques et industriels, moralistes, philantropes et économistes. » Il n’est pas nécessaire de faire ressortir tout ce que l’étude des caractères de cette trempe peut offrir d’intérêt. On comprendra aussi le sentiment de discrétion qui m’empêche d’insister sur le mérite et le légitime succès d’une œuvre publiée en grande partie dans cette Revue. Je dirai seulement, et sans crainte d’être désavoué, que M. Reybaud a déployé tout à coup une intelligence des grands problèmes moraux et économiques, une aptitude à la discussion, et des qualités littéraires qui ont marqué son rang parmi les écrivains vraiment distingués de nos jours.

Les Études déjà connues de nos lecteurs ont mis en relief personnellement les réformateurs contemporains. L’analyse des conclusions qui couronnent le livre va nous conduire à un examen comparé des théories et à une appréciation de quelques ouvrages émanés de l’école fouriériste. Je crois juste, avant tout, d’établir nettement un fait sur lequel la narration de M. Reybaud glisse trop légèrement : c’est que Henri, duc de Saint-Simon, ne doit pas encourir la responsabilité des doctrines professées en son nom par une secte devenue célèbre. Saint-simon, penseur profond, philosophe sincèrement religieux, croyait que le christianise avait été détourné de ses voies et réduit à l’impuissance par des directeurs inintelligens ou corrompus. Le temps était venu, disait-il, de lui rendre la vitalité, en réalisant politiquement cette parole évangélique : « Aimez-vous les uns les autres, » c’est-à-dire en appliquant

  1. Un vol. in-8o, 2e édit. ; chez Guillaumin, galerie de la Bourse, 5.