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REVUE LITTÉRAIRE.

quait au genre humain. » Il y a un an environ que M. Owen sollicita et obtint du ministère anglais la faveur d’être admis en présence de la reine. Cette présentation officielle d’un homme qui se fait honneur de professer le renversement des lois divines et humaines, fut dans le parlement l’objet d’un blâme auquel le manifeste répond ainsi : « Un mot maintenant sur ma présentation à sa majesté la reine. Je le demande, qui d’entre nous trois a été le plus honoré de cette visite ? ou d’un homme de près de soixante-dix ans, qui a employé plus d’un demi-siècle à acquérir une rare sagesse, avec la seule pensée de l’appliquer aux créatures souffrantes, et qui, pour arriver à la réalisation de ses desseins, s’est assujetti à s’habiller comme un singe, et à fléchir le genou devant une jeune fille charmante sans doute, mais sans expérience ; ou bien d’un ministre qui engagea ce vieillard à subir ces formes de l’étiquette et qui ensuite, dans un discours plein d’absurdités, désavoua presque un acte dont il était le promoteur, un acte qui, quelque jour peut-être, comptera comme le fait le meilleur et le plus important de son administration ; ou bien enfin de la jeune fille devant laquelle un septuagénaire a plié le genou ? Quant à moi, je ne tiens point à honneur d’avoir été présenté à aucun être humain, quel qu’il soit. » Malgré la haute opinion que le philantrope anglais a de lui-même, et qu’il exprime avec cette candeur qui la ferait pardonner, tout porte à croire qu’il ne laissera pas après lui des traces durables.

Quant à la doctrine de Fourier, elle est présentement l’objet d’une propagande très active. M. de Pompery nous apprend que la science sociale est crue et acceptée aujourd’hui par quelques milliers d’intelligences ; qu’indépendamment des deux recueils périodiques dont elle dispose à Paris, elle aura bientôt une feuille quotidienne ; qu’elle a pour organes, dans les départements, huit journaux accrédités ; que d’autres journaux, à Londres, à New York, à Madrid et à Lisbonne, reçoivent ses inspirations ; qu’enfin, avant peu, une expérience pratique sera tentée dans le Portugal. Des démarches très actives, dit-on ; sont faites en France pour appliquer à une grande exploitation la théorie sociétaire ; enfin les journaux annonçaient, il y a peu de jours, que trois cents familles de Bordeaux partaient pour l’Amérique, avec l’intention d’y fonder un phalanstère.

Les livres consacrés à la propagation de l’harmonie annoncent en général cette chaleur d’ame qui, bien dirigée, fait éclore le talent et l’alimente. Je reprocherai aux phalanstériens d’abuser de la liberté accordée aux novateurs de produire parfois des mots nouveaux. La sévérité et les répugnances de la langue commune offrent un moyen de contrôle dont chacun a besoin pour apprécier la justesse de son esprit : on doit se défier des idées qui ne peuvent pas être exprimées par le vocabulaire qui suffit à tout le monde. Lorsque les doctrines craignent de se comprendre et cherchent, pour ainsi dire, à s’éviter elles-mêmes, elles tombent dans le jargon et le mysticisme ; c’est ce qu’on a pu constater vers le déclin de l’école saint-simonienne. Je n’ai pas remarqué que les doctrines de Fourier eussent été développées ou modifiées par ses