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LE CARDINAL XIMENÈS.

est permis de croire que Ximenès n’était pas insensible à cet éclat et à ce bruit qui se formaient de loin autour de son silence et de son obscurité ; des retours violens vers ce monde qui l’appelait venaient sans doute de temps en temps troubler ses extases solitaires. Il devait alors redoubler de mortifications, car rien ne nous donne le droit de douter de l’énergie de sa foi, et les sentimens les plus opposés peuvent se confondre dans cet abîme obscur du cœur de l’homme ; mais toutes les rigueurs de la pénitence ne devaient pas suffire à vaincre des orages toujours soulevés.

Il serait injuste de l’accuser complètement d’hypocrisie, il ne serait pas juste non plus de l’en disculper tout-à-fait. Les caractères comme le sien sont très complexes. Il a dû être tour à tour et quelquefois en même temps hypocrite et de bonne foi. Ardent et agité, il avait besoin de lutte, tant avec lui-même qu’avec les autres. L’exaltation religieuse et l’ambition mondaine se nourrissaient et se combattaient à la fois au fond de lui-même.

Ce qu’il y a de sûr, c’est que la retraite fut pour lui le chemin de la puissance. Ses supérieurs, voulant le détourner des austérités qui pouvaient abréger sa vie, lui ordonnèrent de se rendre au couvent de Salzeda, où il fut bientôt élu père gardien. Sa remarquable aptitude pour les affaires se montra de nouveau dans ce poste. Le grand cardinal Mendoza, devenu, par la mort de Carillo, archevêque de Tolède et ministre de Ferdinand et d’Isabelle, avait coutume de dire qu’un tel homme ne pouvait pas rester toute sa vie dans un couvent. L’occasion de l’en tirer se présenta bientôt. Le frère Fernando de Talavera, confesseur de la reine, fut nommé archevêque de Grenade, et le poste qu’il occupait devint vacant. Isabelle consulta le grand cardinal sur le choix qu’elle devait faire ; ce choix était important, car la reine avait des scrupules de conscience qui la portaient à prendre la direction de son confesseur pour les affaires du gouvernement aussi bien que pour ce qui regardait son salut. Mendoza désigna Ximenès. La reine le fit venir, l’interrogea, fut frappée de la fermeté modeste de ses réponses, et le choisit.

On dit que, lorsque le nouveau confesseur se montra pour la première fois à la cour, les courtisans, frappés de son aspect, crurent voir apparaître dans cet homme au corps exténué, au front pâle, à l’œil cave et ardent, un des anachorètes primitifs d’Égypte et de Syrie. Cette ressemblance, qui répandait autour de Ximenès une terreur superstitieuse était plus apparente que réelle. Les saints solitaires du christianisme naissant avaient été poussés au désert par un