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LE CARDINAL XIMENÈS.

Ce qui est moins poétique et plus sûr que toutes ces merveilles, c’est l’indiscipline qui régnait dans l’armée, et qui, après avoir failli compromettre l’expédition elle-même, finit par lasser Ximenès. Sans cesse obsédé des prétentions de ses généraux, et pressé de s’y soustraire, le cardinal ne passa que quelques jours à Oran. Il se rembarqua pour l’Espagne, après avoir dédié lui-même la plus grande mosquée d’Oran, transformée en église, à Notre-Dame-de-la-Victoire, laissant à Pierre de Navarre et à Vianelli, pour de nouvelles conquêtes, toutes les munitions qui restaient sur les vaisseaux. Ces deux généraux attaquèrent d’abord et prirent Bougie, capitale du royaume de ce nom ; ils se portèrent ensuite sur Tripoli, dont ils se rendirent maîtres également. Leur nom était devenu la terreur de toute l’Afrique, quand ils furent battus dans une nouvelle tentative. Vianelli fut tué dans cet engagement ; quant à Pierre de Navarre, il passa en Italie où il porta successivement les armes pour les Espagnols et les Français, et mourut prisonnier de Charles-Quint. De toutes les conquêtes que les Espagnols avaient faites sur la côte d’Afrique, ils ne conservèrent que la ville d’Oran, qui avait été réunie par Ximenès à l’archevêché de Tolède, et qui a appartenu à l’Espagne jusqu’en 1792.

Si Ximenès avait l’audace dans les entreprises et la persévérance dans les desseins, il n’avait pas le génie qui fonde et qui organise. Il porta dans la conquête d’Oran la même préoccupation exclusive qui dirigeait toutes ses actions. Son unique soin fut d’y établir des églises, des monastères et un tribunal d’inquisition. Quelques historiens lui ont attribué des projets de colonisation, mais rien ne prouve que ces projets aient été réels ; ils n’ont du moins jamais reçu de commencement d’exécution. La pensée que d’autres documens lui prêtent d’établir à Oran un ordre de Saint-Jacques, sur le mode de celui de Rhodes, pour faire la guerre aux infidèles, paraît plus vraisemblable ; dans tous les cas, il mourut avant d’avoir pu la réaliser. Il ne fit donc rien à Oran pour prendre véritablement possession du pays. La population musulmane avait été exterminée tout entière ou réduite en esclavage ; aucune mesure ne fut prise pour y appeler la population chrétienne. Après une occupation stérile et dispendieuse de près de trois cents ans, les Espagnols durent bénir l’affreux tremblement de terre qui leur servit de prétexte pour l’évacuer. Cette ville était pourtant riche et puissante quand Ximenès s’en était emparé, et il eût suffi d’un peu de prévoyance pour lui conserver sa prospérité ; mais l’esprit qui dépeuplait l’Espagne n’était pas propre à peupler l’Afrique.

Pour retrouver Ximenès tout entier, il faut le suivre comme