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LE CARDINAL XIMENÈS.

liser avec la sienne. C’était d’ailleurs une entreprise qui lui plaisait que celle de fonder une capitale dans une solitude, caprice hautain, égoïste, digne en tout de cette monarchie idéale qu’il rêvait et qu’il ne réalisa que trop. La capitale indiquée par la nature était Séville ; située sur le plus grand fleuve de l’Espagne, cette ville était désignée pour devenir le centre des relations nouvelles avec l’Amérique, l’Afrique et l’Italie, en même temps qu’elle dominait les plus riches provinces de la Péninsule ; mais elle n’était pas dans le diocèse de Ximenès, et elle avait trop d’importance par elle-même pour qu’il la choisît. C’est dans un même esprit que Louis XIV devait plus tard quitter Paris pour Versailles.

Une troisième mesure plus décisive encore que les deux premières fut l’établissement d’une armée permanente. De tout temps, la noblesse s’était réservé le droit de porter les armes ; Ximenès rendit une ordonnance qui étendait ce droit à la bourgeoisie. Les communes de Castille étaient si puissantes alors, qu’elles eurent bientôt mis sur pied une armée de trente mille hommes. Ximenès leur donna des officiers, des drapeaux, le droit de passer des revues et de faire l’exercice les jours de fête. Les nobles de Castille protestèrent, mais le cardinal n’en tint nul compte ; il négligea les plaintes, brava les menaces, dissimula les obstacles. Certes, c’était un trait de la plus habile politique que de chercher dans le tiers-état un point d’appui contre les grands. Il est malheureux seulement que ce moyen n’ait été employé par Ximenès que comme calcul de force, et qu’il n’ait servi, en armant l’un des ordres contre l’autre, qu’à préparer leur commun abaissement. La création de l’infanterie bourgeoise aurait pu être le signal d’une réorganisation politique : elle ne fut qu’un instrument de domination. À la mort du cardinal, l’institution fut abandonnée, et le tiers-état n’en retira aucun profit.

Quand Ximenès eut ainsi toutes ses forces dans la main, il prit le ton haut et mena les affaires en maître. Charles avait exprimé le désir d’être proclamé roi, quoique sa mère vécût encore ; cette prétention n’était pas seulement une infraction à l’usage, c’était encore, aux yeux des Espagnols, l’acte d’un mauvais fils. L’opposition fut tellement vive en Aragon, que don Alphonse, archevêque de Saragosse à qui Ferdinand avait laissé la régence de ce royaume, ne put parvenir à la vaincre. Quant à la Castille, ce fut différent ; Ximenès commença par rassembler les états à Madrid, afin de leur demander leur consentement. La discussion fut très orageuse ; le ministre Carvajal soutint que, la malheureuse infirmité de la reine