Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/559

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
555
LE CARDINAL XIMENÈS.

pas même songé à établir en Espagne la véritable unité, l’unité politique et nationale : il a fait un roi, et non un état. On doit, il est vrai, tenir compte à l’un et à l’autre de la différence des temps et des pays ; mais cette différence n’explique pas tout. Il y a plus : l’Espagne, au temps de l’un, présentait plus de ressources que la France du temps de l’autre. Il a fallu autant d’habileté et de persévérance à Ximenès pour détruire qu’à Richelieu pour fonder. D’ailleurs le ministre de Louis XIII n’a trouvé qu’en lui seul son dessein ; le régent de Castille n’a fait que gâter en l’exagérant l’œuvre de Ferdinand-le-Catholique.

Ce dernier prince était contemporain de Ximenès ; il était Espagnol aussi, et la comparaison avec lui est encore moins favorable au cardinal que la comparaison avec Richelieu. On a vu quelle constante opposition a toujours régné entre eux, sauf le cas unique où ils se sont entendus pour leur fortune commune. Ximenès n’a qu’un avantage sur Ferdinand ; il est aussi franc dans sa violence que l’autre est fourbe et astucieux ; mais comme politique, le roi catholique est bien supérieur à son ministre. Ferdinand sait admettre des mesures dans l’exercice de son autorité ; Ximenès n’en connaît pas. Le premier ménage les Maures ; le second les réduit au désespoir. L’un veut conserver à l’Espagne son indépendance ; l’autre lui impose le joug mortel d’une domination étrangère. Tout ce que cette époque a produit d’utile est de la main de Ferdinand ; tout ce qu’elle a laissé de nuisible a été soutenu contre lui par Ximenès. Il n’y a pas jusqu’à l’expédition d’Oran qui ne serve à montrer ce qui les distingue ; pendant que le cardinal s’obstine à recommencer les croisades et à poursuivre sans utilité les infidèles de la côte d’Afrique, le roi s’empare de Naples et de la Navarre, traite avec le pape, le roi de France et la république de Venise, et fait entrer l’Espagne dans la politique de l’Europe dont son épée tranche les différends.

Avons-nous prétendu nier le rare caractère de force qui distingue Ximenès parmi tous les hommes célèbres de l’histoire moderne ? Non sans doute. Nous avons voulu seulement montrer à quoi cette force a servi, pour qu’on s’en laisse moins éblouir, s’il est possible. Nous avons cru rendre à ce moine-ministre ce qui lui était dû, et s’il pouvait être permis de citer cette rude figure des temps passés devant le libre examen qui est le privilége de notre temps, il nous semble que l’historien serait en droit de lui adresser ces sévères paroles :

Vous avez été grand, Ximenès ; vous avez eu tous les dons éclatans