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REVUE DES DEUX MONDES.

Monte dans l’aurore et fascine
Le regard qui rôde à l’entour.
En vain sur l’écume marine
De jour encor sourit Cyprine :
Ah ! quand ce n’est plus que de jour,
Sa grace elle-même est chagrine
À qui mettoit tout dans l’amour !

Et puis Bertaut, dans ce genre non original des paraphrases, a tout simplement sur Desportes cet avantage d’être plus jeune en style et d’écrire une langue qui est déjà plus la nôtre. L’onction réelle qu’il y développe paraît mieux.

Dans ses poésies du bon temps, Desportes a plusieurs petits chefs-d’œuvre complets (ce qui est essentiel chez tout poète), de ces petites pièces, chansons ou épigrammes, à l’italienne et à la grecque, comme Malherbe les méprisait, et comme nous les aimons[1]. Je ne sais pas une seule pièce, complète et composée, à citer chez Bertaut, seulement çà et là des couplets. La plus célèbre chanson de Desportes est, avec Rozette, sa jolie boutade contre une nuit trop claire ; tout le monde durant près d’un siècle la chantait. Ce n’est qu’une imitation de l’Arioste, dit Tallemant, mais en tous cas bien prise, bien coupée, et mariée à point aux malices gauloises. L’amant en veut à la lune qui l’empêche d’entrer chez sa maîtresse, comme Béranger en veut au printemps qui ramène le voile de feuillage devant la fenêtre d’en face, comme Roméo sur le balcon en veut à l’alouette qui ramène l’aurore. Il y a là un motif plein de gentillesse et de contraste :

Ô nuict, jalouse nuict contre moy conjurée,
Qui renflammes le ciel de nouvelle clairté,
T’ay-je donc aujourd’huy tant de fois désirée,
Pour estre si contraire à ma félicité ?

Pauvre moy, je pensoy qu’à ta brune rencontre
Les cieux d’un noir bandeau deussent estre voilez ;
Mais, comme un jour d’esté, claire, tu fais ta monstre,
Semant parmy le ciel mille feux estoilez.

Et toy, sœur d’Apollon, vagabonde courrière,
Qui, pour me découvrir, flammes si clairement,
Allumes-tu la nuict d’aussi grande lumière,
Quand sans bruit tu descens pour baiser ton amant ?

  1. Il en a même à la gauloise, à la Mellin de Saint-Gelais : témoin l’épigramme sur une Philis trop chère (Délices de la Poésie françoise, de Rosset, tome I). Elle pourrait être du neveu Regnier aussi bien que de l’oncle.