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ANCIENS POÈTES FRANÇAIS.

Mes plaisirs s’en sont envolez,
Cédans au malheur qui m’outrage ;
Mes beaux jours se sont escoulez
Comme l’eau qu’enfante un orage ;
Et s’escoulans ne m’ont laissé
Rien que le regret du passé.

Bertaut, tout nous le prouve, était de ces natures dont la vivacité dure très peu et n’atteint pas, et qui commencent de très bonne heure à regretter. Mais dans ces langueurs continuelles, sous cette mélancolie monotone, il est impossible de méconnaître un certain progrès d’élégance, un certain accent racinien, lamartinien, comme on voudra l’appeler. Félicité passée semble d’avance une note d’Esther[1].

On a fort loué la pièce de vers sur la mort de Caleryme ; sous ce nom, le poète évoque et fait parler Gabrielle d’Estrées ; il suppose que, six jours après sa mort, cette Caleryme apparaît en songe à son amant, le royal Anaxandre, et qu’elle lui donne d’excellens, de chastes conseils, entre autres celui de ne plus s’engager à aucune maîtresse, et d’être fidèle à l’épouse que les dieux lui ont destinée. L’idée, on le voit, est pure et le conseil délicat. Dans cet ingénieux plaidoyer, Gabrielle devient une espèce de La Vallière ; le prochain aumônier de Marie de Médicis, et qui l’était probablement déjà lorsqu’il recourait à cette évocation, se sert, à bon droit ici, de son talent élégiaque comme d’un pieux moyen. Mais le premier Bourbon se laissa moins persuader aux mânes après coup sanctifiés de sa chère maîtresse, que son dernier successeur qu’on a vu jusqu’au bout demeurer fidèle au souvenir de mort de Mme de Polastron. Quant à la pièce même de Bertaut, elle eut sans doute de l’élégance pour son temps ; je ne saurais toutefois, dans l’exécution, la distinguer expressément des styles poétiques contemporains de D’Urfé et de Du Perron. J’aime bien mieux, pour faire entier honneur au poète, rapporter les vers les plus soutenus qu’il ait certainement composés,

  1. Ce qui ne veut pas dire le moins du monde (ceci une dernière fois pour réserve) que Racine soit de la postérité littéraire de Bertaut, que Bertaut ait trouvé, ait deviné d’avance la manière, le faire du maître. Je ne parle plus du Racine des stances à Parthénisse, mais du Racine véritable, de celui d’après Boileau. Ils eurent certains traits en commun dans leur sensibilité, voilà tout. Si Bertaut fit un reste d’école, c’est du côté direct de l’hôtel Rambouillet. Racine, en un ou deux hasards, lui ressemble un peu ; mais Mme de La Suze, dans le tous les jours de ses élégies, lui ressemble encore plus.