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DU GOURVERNEMENT REPRÉSENTATIF.

considérable, le pouvoir peut passer d’un parti à l’autre sans trouble, sans commotion, sans réaction véritable. Dans la chambre des communes et dans la chambre des lords, on change, sans aucune espèce de contestation, une quarantaine de fonctionnaires politiques et d’officiers de la maison royale ; après quoi l’opposition va s’asseoir sur les bancs ministériels, le parti ministériel sur les bancs de l’opposition, et tout est fini. Dans le pays, il y a, s’il est possible, moins à faire encore. Partout en effet les fonctions sont électives ou appartiennent collectivement et sans distinction d’opinion aux principaux propriétaires. Tout au plus, quand le ministère change, remarque-t-on sur la liste annuelle des lords lieutenans et des sheriffs quelques noms de plus ou de moins. Quant aux électeurs, que le drapeau qu’ils suivent par choix ou par nécessité soit pour le moment celui du ministère ou celui de l’opposition, ils n’y gagnent pas plus qu’ils n’y perdent ; ceux qui sont honnêtes trouvent d’un côté comme de l’autre le moyen de défendre leur opinion, ceux qui ne le sont pas le moyen de vendre leur vote. Chaque partie conserve donc sa force relative et aucune existence n’est sérieusement dérangée.

Voyons maintenant si en France il en peut être de même. En France, au lieu d’institutions provinciales et locales, il y a la centralisation ; au lieu d’une administration gratuite, une administration salariée ; au lieu d’une justice rendue par l’aristocratie et par le peuple, une justice rendue par des magistrats au choix royal et disséminée sur tous les points du territoire ; au lieu enfin de fonctions électives ou confiées presque exclusivement à certaines familles, des fonctions dont le ministre est le distributeur et auxquelles tout le monde peut prétendre. Ajoutez que ces fonctions sont innombrables, et que, dans la modicité actuelle des fortunes, elles se trouvent naturellement enviées et recherchées par les classes moyennes, c’est-à-dire par les classes qui composent en grande majorité les colléges électoraux et qui remplissent la chambre.

La première conséquence d’un tel état de choses, c’est qu’il y ait dans les chambres un très grand nombre de fonctionnaires publics. La seconde, c’est qu’à chaque changement ministériel une grave difficulté surgisse inévitablement. Peut-on exiger en effet qu’à chaque changement ministériel tous les fonctionnaires publics, ceux du moins qui sont amovibles, donnent leur démission et soient remplacés par d’autres ? Personne n’oserait le dire. En France, les fonctions publiques, pour la plupart de ceux qui les occupent, ne sont point l’accessoire, mais le principal. C’est une carrière comme celle du commerce,