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radicalement mauvaise. Or, comme il croit l’hérédité impuissante et impossible, il propose l’élection.

Avant d’examiner ce système et d’en apprécier les conséquences, il importe de bien se fixer sur le rôle que la chambre des pairs est appelée à jouer dans nos institutions, et de voir si réellement on l’a dépouillée, au profit de la chambre élective, de ses attributions naturelles et légitimes. M. de Carné n’est pas de ceux qui pensent avec Montesquieu que la beauté et l’excellence du gouvernement représentatif consistent dans la pondération exacte des pouvoirs. Il reconnaît qu’une telle pondération est impossible, et qu’en Angleterre même, où Montesquieu avait cru la trouver, elle n’a jamais existé. Quand il y a trois pouvoirs, il faut absolument qu’un des trois soit plus fort que les deux autres, et qu’en cas de dissidence la prépondérance lui appartienne, soit en droit, soit en fait. Or si les uns croient qu’en France le pouvoir prépondérant doit être la chambre élective, les autres la royauté, il n’est encore venu à l’esprit de personne que, dans l’état actuel de notre société, ce puisse être la chambre des pairs. En Angleterre même, où il existe une chambre des pairs riche, puissante, héréditaire, c’est indirectement, par l’intermédiaire de la chambre des communes, que cette chambre a si long-temps gouverné le pays. Aujourd’hui la chambre des communes est d’un autre avis que la chambre des pairs, et, depuis plusieurs années, il faut que celle-ci subisse des ministres qu’elle déteste, une politique qui lui est antipathique. Tout ce qu’elle peut faire, c’est de retenir ces ministres sur la pente où ils sont placés, et d’empêcher cette politique d’arriver à ses dernières conséquences.

Quand tel est en Angleterre le rôle de la chambre des pairs, ne serait-il pas absurde de rêver pour la chambre des pairs en France un rôle plus important et plus brillant ? Qu’on ne vienne donc plus dire que la chambre des pairs est atteinte dans ses droits légitimes, parce que la chambre élective contribue plus qu’elle à faire des cabinets et à donner au gouvernement telle ou telle direction. Cela doit être, et s’il en était autrement le gouvernement représentatif n’atteindrait pas son but. La chambre des pairs est, par son essence même, un pouvoir modérateur avec lequel doit compter sérieusement tout ministère et toute politique. Ce n’est point un pouvoir directeur, duquel doivent émaner en premier lieu la politique et le ministère. Quand l’un ou l’autre lui déplaît elle a, comme en Angleterre, mille moyens de le faire sentir, mais sans jamais en venir à la