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arménien, je campai en plein air, ne voulant pas entrer dans ces maisons infectes qui regorgent de vermine. Le lendemain, nous dûmes encore continuer notre route à cheval. Nous traversâmes une belle plaine, et bientôt nous nous retrouvâmes dans un pays entrecoupé de ravins ou de collines peu élevées. Nous rencontrâmes quelques villages peu considérables ; mais nous ne vîmes pas d’habitans. Après de nouvelles difficultés avec les écrivains des postes, je finis par obtenir des chevaux.

Je pus observer, dans les villages où je passai, la méfiance des habitans à l’égard des Russes, leur mauvais vouloir et leurs craintes ; le dernier soldat, se croyant une autorité, traite les indigènes avec une barbarie sans égale. Loin de réprimer la brutalité des hommes placés sous leurs ordres, les officiers les encouragent. C’est sans doute par une semblable conduite qu’ils se croient appelés à civiliser l’Orient.

Je traversai quelques camps de peuplades nomades qui promènent leurs troupeaux dans les différentes parties du Caucase ; ces tribus ensemencent un petit espace de terrain qu’elles abandonnent jusqu’à la récolte, suivant toujours leurs troupeaux. Elles descendent en hiver dans les plaines, et durant l’été élèvent leurs tentes sur les plus hautes montagnes. Dispensés de toutes les corvées auxquelles sont soumis les villageois, elles ne paient d’autres impôts qu’une dîme sur leurs bestiaux. L’intérêt d’un gouvernement bien organisé serait de fixer ces tribus, qui nuisent à l’agriculture et compromettent la sûreté des routes. Quelques exécutions faites à la suite de pillages commis par ces peuples nomades les entretiennent dans une crainte salutaire ; mais les voyageurs isolés doivent toujours redouter leur rencontre. Ces tribus nomades sont toutes musulmanes, et comptent de quatre à cinq mille familles.

Nous côtoyâmes les rives du Kour, l’ancien Cyrus. Des roues à godets, mises en mouvement par le fleuve, élèvent les eaux jusqu’aux jardins qui bordent son cours. Des kiosques et quelques maisons de campagne se détachaient au milieu de ces vergers tout brillans de verdure. Bientôt j’entrai à Tiflis, dont la vue est entièrement cachée par les montagnes qui l’environnent, et je m’avançai au milieu des bazars. Les marchandises que je voyais étalées me prouvèrent que cette ville commence à se remettre du coup fatal qui lui fut porté par l’incorporation de la Géorgie au système général des douanes de l’empire. Cette incorporation avait pour but d’offrir un écoulement aux marchandises russes, qui, inférieures en qualité, ne