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PHILOSOPHIE DE M. BUCHEZ.

nature a mis en nous le besoin de penser, de penser par nous-mêmes, et de nous rendre un compte exact et rigoureux de nos opinions et de nos croyances, c’est pour cela qu’à côté d’une religion vraie la philosophie est nécessaire ; comme la religion elle-même, comme tout ce qui a de l’avenir, comme tout ce qui vient de Dieu, elle fait son chemin par sa propre force, et les persécutions ne lui sont rien.

Si vous cherchez le caractère de la philosophie, le voilà. Son but et son objet lui sont communs avec la religion, mais la religion est révélée, et la philosophie indépendante. Ôtez ce caractère à la philosophie, et, si vous admettez une religion vraie, cette religion suffit à tout ; il faut la prêcher et la commenter, il ne faut pas philosopher. Si la philosophie n’a pas pour origine ce cri de la raison individuelle qui demande à juger et à comprendre, si elle n’est pas nécessaire, elle n’est pas inutile seulement, elle est dangereuse. Si donc vous intitulez votre livre : Philosophie du catholicisme, si dès le premier mot vous abdiquez votre liberté, si vous ne voulez que développer les vérités révélées et montrer qu’elles ne répugnent pas à la raison, vous n’êtes pas un philosophe ; car cela, c’est de la théologie, ou ce n’est rien.

Nous avons eu, il y a quelques années, des néochrétiens dans l’art ; sommes-nous destinés à en avoir aussi dans la science ? Si vous êtes chrétiens, et ne voulez être que disciples fidèles de l’église, que parlez-vous de philosophie ? Et si vous êtes philosophes, que fait donc là la révélation ? Croyez-vous faire grand bien à l’église avec cet alliage de philosophie ? L’église ? Votre orthodoxie lui est suspecte, et elle vous repousse. Et la science, comment vous admettrait-elle au rang des libres penseurs, vous dont le premier soin est de proclamer que vous ne l’êtes pas ? Entre la foi et la raison, que vous prétendez confondre, il n’y a pas opposition sans doute, mais il y a séparation. Plus la séparation sera complète, et plus la religion sera respectée et la philosophie puissante. On n’est pas catholique à demi et on n’est pas non plus philosophe à demi. Soumission absolue ou indépendance absolue, il faut choisir. Ici les termes moyens ne sont que des illusions, et le milieu n’existe pas.

À Dieu ne plaise que jamais la religion soit à nos yeux l’ennemie de la philosophie, ou la philosophie de la religion, et que nous pensions que, pour être philosophe, on doit cesser d’être chrétien. La raison comme la révélation vient de Dieu, et les opposer l’une à l’autre, dit Leibnitz, c’est faire combattre Dieu contre Dieu. Vous avez l’exemple de Descartes : quand cet esprit, le plus audacieux et