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que je suis. » Ni Descartes, ni M. Cousin, ni aucun psychologue n’a jamais parlé autrement ; et voilà saint Augustin complice de cette abominable doctrine.

Nous ne parlons pas de l’éclectisme, dont il n’est nullement question dans le livre de M. Buchez ; cependant nous ne pouvons laisser sans réponse les attaques qu’il dirige contre la psychologie. C’est une chose assurément que personne ne voudrait croire, si nous n’en étions pas les témoins ; mais d’une question scientifique s’il en fut, de la question de savoir si la psychologie est le point de départ légitime et nécessaire de la philosophie, on a fait une question politique et une affaire de parti. M. Buchez a du moins le mérite de la franchise, car il confond dès le premier mot les éclectiques avec les doctrinaires, les éclectiques, c’est-à-dire pour lui les psychologues. Il est curieux de voir comment il rattache au principe même de la méthode psychologique les opinions qu’à tort ou à raison il attribue aux doctrinaires. Vous regardez le moi comme le principe de toutes nos idées, dit-il. Si tout a cette origine, que sera la morale fondée sur une telle base ? La morale du moi, c’est-à-dire évidemment une morale égoïste. Ainsi vous commencez par faire du moi le principe de la spéculation, pour en faire ensuite le but et le terme suprême de toute action.

Une pareille agression est-elle sérieuse de la part d’un homme de bonne foi, qui parle partout de dévouement et de sacrifice, et qui, ayant inscrit en tête de son livre le mot de catholicisme, doit savoir apparemment ce que c’est que la justice, à défaut de la charité ? Prétendre que l’on doit commencer l’étude de la philosophie par une observation attentive de soi-même, est-ce réduire la philosophie à n’être que cela ? Si je crois, avant tout, devoir étudier la nature de mes propres idées, et en rechercher l’origine, s’ensuit-il que toutes mes idées doivent avoir pour origine unique mes sensations, mes sentimens, mes intérêts propres ? Vous ne croyez pas sans doute que dans la réalité il n’y ait d’autres idées en nous que celles qui nous viennent des sens, et qui se rapportent à notre bien-être individuel ; et s’il y a dans l’esprit humain d’autres idées, pourquoi voulez-vous que le psychologue n’aperçoive que celles que vous lui imputez, et qu’il néglige les autres ? Serait-ce que, par hasard, ceux dont vous parlez, en regardant au fond de leur conscience, n’y auraient jamais vu que leur moi et ses modifications ? Mais quel est donc alors ce genre nouveau d’hypocrisie qui les porte à soutenir le contraire ? Pourquoi proclament-ils, non pas comme vous le dites, la souveraineté du moi, mais l’imprescriptible empire de la raison impersonnelle ? Vous affec-