Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/621

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
617
PHILOSOPHIE DE M. BUCHEZ.

être sensualiste pour être conséquent, mais il n’est ni conséquent ni sensualiste.

D’où viennent donc, selon M. Buchez, ces idées que les sens ne nous donnent pas, quoiqu’ils nous donnent l’idée d’infini, et qui ne viennent pas non plus de la raison, fait physique et animal s’il en fut ? Elles nous viennent de la révélation ; et c’est ainsi que la philosophie de M. Buchez est une philosophie au point de vue du catholicisme. Hâtons-nous pourtant de le dire pour nous rassurer nous-même, et du reste M. Buchez, dont la loyauté est partout évidente, est le premier à en convenir : cette théorie catholique n’est encore admise jusqu’ici que par M. Buchez tout seul ; c’est du catholicisme par-dessus le catholicisme ; et la révélation, qui s’était toujours contentée d’être au-dessus de la raison, prétend ici pour la première fois qu’elle est la raison elle-même.

Qu’est-ce que la révélation ? M. Buchez dit quelque part que ce mot est très vague : il se trompe ; mais il est vrai que ce mot désigne deux choses différentes, et M. Buchez a eu grand tort de ne pas nous apprendre de laquelle des deux il entendait parler. On distingue en effet la révélation individuelle et la révélation traditionnelle. M. Buchez veut-il parler de la révélation individuelle ? alors nous nous verrons forcé, quoi qu’il nous en coûte, de dire à M. Buchez qu’il ne vaut gère mieux qu’un rationaliste. Est-ce la révélation traditionnelle ? Mais Leibnitz a prouvé, il y a long-temps, que les sensualistes ne peuvent pas l’admettre ; et M. Buchez, s’il n’avait pas la révélation, ne serait qu’un sensualiste de son propre aveu.

De même que l’essence du sensualisme consiste à soutenir que toutes nos idées, les idées d’infini, etc., viennent de la sensation, l’essence du rationalisme consiste à prétendre que nous avons des idées qui ne peuvent nous venir des sens, et dont tous les hommes sont pourvus, par cela seul qu’ils sont des hommes. Ce que nous savons de plus certain au sujet de ces idées, c’est que les sens n’ont pas le pouvoir de nous les donner ; mais d’où viennent-elles ? Là est le champ des hypothèses. Ce sont elles que Platon appelait des souvenirs affaiblis d’une vie meilleure ; ce sont les idées innées de Descartes, c’est la vision en Dieu de Malebranche. Si vous dites qu’elles sont l’effet d’une révélation individuelle et immédiate, « la lumière qui illumine chaque homme venant en ce monde, » cela ne change rien aux faits, et cela ne diffère pas au fond des autres théories ; car quel est le rationaliste qui ne rapporte pas à Dieu, comme