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REVUE LITTÉRAIRE DE L’ALLEMAGNE.

les brochures enfantées dans l’espace de quelques mois par le génie allemand, pour démontrer, d’après les règles austères de la logique, le néant de nos rêves et la folie de nos prétentions. Toute idée nouvelle, petite ou grande, vraie ou fausse, qui tombe au milieu de la presse allemande, est bien vite scindée en dilemmes, coulée dans le moule d’une longue phrase, et il faudrait qu’elle fût d’une étonnante stérilité pour qu’à la prochaine foire de Leipsig elle ne se montrât pas dans les catalogues de la librairie, appuyée sur plusieurs respectables in-8o et escortée d’un nombre indéterminé d’in-12.

Le nom et le génie de Goethe, la polémique soulevée par quelques-uns de ses écrits, l’étude de son caractère et de sa vie, ont enfanté toute une série d’œuvres d’analyse, d’esthétique, de biographies qui s’accroît encore chaque année, et qui est enregistrée dans les recueils littéraires et scientifiques sous le titre de Goethe’s literatur (littérature de Goethe). Il en est de même pour Schiller, pour Strauss, pour tout homme enfin et pour tout évènement qui a occupé l’attention publique, et il en sera de même bientôt pour la question du Rhin, grace aux brochures de toute sorte qui ont déjà paru sur ce sujet et celles qui paraissent encore.

Dans une de ces brochures, je trouve l’histoire du Rhin jusqu’à la restauration. Cette histoire démontre clairement que nous n’avons pas le plus léger droit à réclamer les provinces situées au bord de ce fleuve, et que nous sommes là-dessus d’une ignorance profonde. L’auteur, pour nous prouver la nullité de nos prétentions, n’a pas même usé de tous ses avantages. Il pouvait faire remonter son récit jusqu’au déluge, et il a bien voulu ne le commencer qu’à Jules César.

Un autre, pour effrayer les bons habitans de la Prusse rhénane qui seraient tentés de se joindre à nous, raconte avec une vertueuse indignation tous les crimes de la France depuis 1830, l’abandon de la Pologne et de l’Italie, les révolutions suscitées par nous et abandonnées par nous à leur malheureux sort, les promesses faites à Méhémet-Ali et perdues aujourd’hui dans le prestigieux dédale des phrases diplomatiques, puis nos sessions orageuses, nos émeutes. Quel malheur si jamais les riantes et paisibles provinces des bords du Rhin devaient être associées à une nation aussi légère et aussi turbulente ! Ô pauvres innocentes brebis, gardez-vous-en bien !

Un troisième écrivain trouve fort étrange que nous osions redemander le Rhin, quand nous devrions d’abord restituer à l’empire germanique l’Alsace et la Lorraine que nous avons injustement usurpées.

Un quatrième enfin veut bien admettre la France à composition. Défaites-vous, belle dame, lui dit-il, de ces grands airs qui ne nous vont point ; ne menacez pas, ne bravez pas ; soyez humble et modeste, avouez que vous avez péché et repentez-vous. À cette condition, l’Allemagne voudra bien oublier que vous êtes une voisine fort incommode ; la confédération germanique vous absoudra de vos erreurs révolutionnaires, l’Autriche vous éclairera de ses conseils, et la Prusse, dont vous avez fort maladroitement suscité la colère,