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vous tendra généreusement la main. De toutes les catilinaires lancées contre notre pauvre pays par des orateurs qui n’imitent de Cicéron que le tandem, celle-ci, je l’avoue, est celle, qui m’a fait le plus de peine à lire. Dans les autres, on s’emporte, on nous accuse, on nous provoque ; dans celle-ci, on nous traite comme des écoliers, des écoliers étourdis et faibles auxquels il faut montrer la férule du maître.

Des écrivains de presque toutes les parties de l’Allemagne ont pris part à cette polémique. C’est une nouvelle ligue du bien public, c’est un autre tugendbund où chacun est tenu d’apporter, à défaut du glaive acéré et de l’armure de fer des anciens Germains son argument et son épigramme. Les écrivains prussiens se distinguent entre tous les autres par leur ton tranchant et leurs paroles hautaines. La Prusse est aujourd’hui de tous les états d’Allemagne celui qui a le plus de vitalité et qui annonce le plus d’avenir. Tandis que l’Autriche se retranche dans le respect traditionnel de ses institutions aristocratiques et s’efforce seulement de préserver sa tour féodale des atteintes du vent révolutionnaire qui souffle de toutes parts ; de tenir entre ses mains comme un habile tisserand la navette qui rejoint dans un même tissu la laine de Bohême, le lin d’Italie ; de garder dans leur vieux lustre les derniers fleurons de cette couronne que le moyen-âge posait avec piété sur la tête de ses archiducs et que le temps actuel menace de dissoudre ; tandis que la noble fille des Césars, les yeux tournés vers le passé, se prosterne comme les pèlerins de Médine devant un tombeau et tâche d’éloigner d’elle tous les bruits du monde qui la troubleraient dans ses pieuses méditations, la Prusse, alerte et hardie, va, vient, écoute, s’instruit, avance. Pour elle, tout est un objet d’étude, d’observation, d’essai, et, ce qui assure sa destinée, c’est qu’elle joint à son ardeur entreprenante l’esprit d’examen, la patience, la réflexion et la ténacité sage, qu’elle sait à propos modifier ses lois et ses institutions, qu’elle ne se jette dans une nouvelle entreprise qu’après en avoir mûrement posé les conséquences, et que, s’il le faut, elle n’hésitera pas à sacrifier l’intérêt matériel du présent aux chances de son avenir. Sa position géographique, qui serait pour un état inerte ou passif une position des plus dangereuses est pour elle une raison de progrès. Étendue comme un long cordon militaire du nord au sud, de la Pologne à la France, resserrée entre deux lignes de royaumes et de principautés, il faut nécessairement qu’elle s’élargisse sous peine d’être écrasée, et certes elle a bien montré qu’elle comprenait sa situation. Elle agit sur les populations qui l’avoisinent par ses mesures administratives, par ses essais d’améliorations en tout genre, par le tableau de sa prospérité et l’éclat de son enseignement littéraire et scientifique. Elle se les assimile peu à peu par des tentatives dont elle seule peut-être comprend d’abord toute la portée, aujourd’hui par son système monétaire, demain par son réseau de douanes. Nous parlons encore du défaut d’unité de l’Allemagne. Ce défaut est bien plus apparent que réel. Vienne une guerre, l’Allemagne cesse d’être un composé de petites princi-