Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/635

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
631
REVUE LITTÉRAIRE DE L’ALLEMAGNE.

pautés dont chacune a son histoire, ses intérêts, sa vie à part ; elle redevient une grande et forte nation, elle se rallie avec un même cri sous un même drapeau ; et qui sait quels fruits porterait alors cette longue et patiente infiltration des idées prussiennes répandues de côté et d’autre, et combien de seigneuries, de duchés se rejoindraient alors à cette monarchie qui sait si bien répandre ses principes et prépare si habilement sa moisson ! L’Autriche finit comme elle a commencé : elle met pied à terre au milieu de la rumeur des peuples et le glaive dans le fourreau, la tête baissée, s’en va comme Rodolphe de Habsbourg, avec le prêtre catholique, rendre les derniers devoirs aux morts. La Prusse au contraire, s’avance avec audace, tenant d’une main l’épée de Frédéric-le-Grand, et de l’autre le livre de Luther, le livre d’émancipation des temps modernes, la loi de réforme. Elle a le sentiment de sa force et de son avenir, et c’est ce sentiment qui éclate en termes orgueilleux dans les écrits, dans les discours de tous les Prussiens. Il faut les voir, quand ils se réunissent, dans quelque solennité militaire ou scientifique, avec quelle ardeur ils entonnent leur chant national, avec quel accent emphatique chacun d’eux s’écrie : Ich bin ein Prussen (je suis Prussien) : On dirait que tous les autres titres ne sont rien à côté de celui-là. Il y a en eux de l’arrogance de parvenus et de la satisfaction d’un espoir sans bornes. Ils se souviennent que leur pays n’était encore qu’un simple marquisat, au temps où la France était puissante et splendide ; mais ils sont bien persuadés que le marquisat, orné déjà d’une couronne royale, s’élèvera au rang des premières puissances. Dans un de ses derniers ouvrages, M. de Raümer parle des populations italiennes soumises à l’Autriche d’une façon qui donnerait un singulier démenti aux strophes de Child-Harold, au sonnet célèbre de Félicaja, aux vers de Lamartine. À l’entendre, c’est un grand bonheur pour ces contrées jadis si puissantes, pour ces villes jadis si fières, d’être paternellement administrées par la cour de Vienne, et de lever leur noble tête sous la baguette d’un caporal ; puis il ajoute naïvement : Que serait-ce, si ces mêmes cités étaient régies par la Prusse ! La Prusse, en effet, voilà le modèle des gouvernemens, voilà le type de la sagesse et de la béatitude dans ce monde. L’Autriche, avec son esprit aristocratique et son absolutisme, mérite bien quelque considération. Mais la Prusse !

Revenons à nos brochures.

De toutes celles que j’ai lues, deux seulement m’ont frappé par leur ton de justesse, de modération, et les loyales intentions qu’elles expriment.

L’une a pour titre : La France, l’Allemagne et la Sainte-Alliance des peuples ; l’autre : Der Rhein (le Rhin). Toutes deux ont été écrites par un jeune Allemand qui habite Paris : M. Venedey. Homme d’étude et de conviction, M. Venedey peut essayer hardiment une tâche délicate, difficile, et qui pourrait avoir d’immenses résultats, celle de parler véridiquement de la France à l’Allemagne et de l’Allemagne à la France. Il tient à l’Allemagne par sa naissance, par ses liens de famille, par son éducation ; à la France, par l’hospitalité qu’il y a trouvée et les témoignages de confiance qu’il y a reçus. Libre