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officiers, nous reconnaissant pour étrangers, vinrent à notre rencontre, et nous prièrent d’accepter leur hospitalité avec une insistance si aimable, que nous ne pûmes refuser. Nos hôtes allaient se rendre à une chasse au lévrier ; ils nous proposèrent d’y prendre part : j’acceptai, et, remontant à cheval, nous galopâmes au lieu du rendez-vous. La femme d’un colonel russe nous étonna par sa grace et son adresse. On me dit qu’elle était Circasienne ; à l’âge de dix ans, elle fut faite prisonnière par le colonel, qui depuis l’avait épousée. Elle avait conservé de ses habitudes d’enfance l’audace et le goût des exercices violens. Elle ne parlait que le russe, il m’eût fallu un interprète pour causer avec elle ; aussi n’ai-je pu juger de son esprit que par la vivacité de son regard. Son mari, vieux guerrier, avait servi sous Souvarow ; deux fois fait soldat pour insubordination, il était redevenu officier par sa bravoure.

Toutes les maisons de Tcharkoie Kalodney sont construites sur un plan régulier par les soldats eux-mêmes ; un petit jardin entoure ces maisons, celles des officiers ne se distinguent que par des dimensions plus grandes et par l’enduit de chaux qui recouvre les murailles ; elles sont comme les autres bâties en bois et recouvertes soit en foin, soit en feuillage. Les meubles des officiers sont également fabriqués par les soldats. J’ai vu chez des colonels quelques petits meubles travaillés avec beaucoup de goût. L’ameublement des officiers ne consiste qu’en une table, un bois de lit, quelques chaises, et un divan recouvert d’une mauvaise cotonnade. Le colonel d’un régiment cantonné jouit d’un revenu considérable. Employant ses soldats soit à chercher le bois qui lui est nécessaire, soit à cultiver des jardins qui leur donnent des légumes en abondance, il peut s’approprier presque tout l’argent que le gouvernement lui paie pour l’entretien des troupes. Les régimens de cavalerie, trouvant sur les lieux même tous les fourrages pour leurs chevaux, procurent ainsi à leurs colonels jusqu’à cent mille roubles par année.

Beaucoup de soldats sont mariés ; ils habitent, avec leurs femmes et leurs enfans, les petites maisons qui leur sont assignées. Le gouvernement, voulant remédier à l’inexpérience des troupes cantonnées actuellement dans le Caucase, a résolu d’y envoyer les soldats ayant dix ans de service ; les officiers attendent ces nouvelles recrues pour compléter les régimens. L’artillerie fait l’exercice une fois par semaine ; en général, tous les soldats placés dans ces campemens sont occupés à des travaux manuels, et, à part les heures de faction, ils n’ont aucun service militaire à remplir. Les officiers me parurent peu