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trouvé les preuves dans ses papiers. Wolfrum, qui était alors en Belgique apprit par les journaux cette accusation et voulut sur-le-champ partir pour venir lui-même la repousser. Faute d’argent, il fut obligé de faire le voyage à pied. Par suite de son agitation morale et d’une fatigue extrême, il tomba malade. À son arrivée à Paris, il entra à l’Hôtel-Dieu et y mourut sous un nom supposé. »

Je m’arrête à ce dernier épisode. Comme expression d’une pensée individuelle, tout ce livre, si vif, si spirituel, est plein d’une profonde tristesse ; le récit des rêves, des agitations, des vaines espérances de l’auteur est mêlé à celui du développement, du progrès et de la répression des idées révolutionnaires de l’Allemagne pendant l’espace de dix ans. En racontant cette odyssée de la démocratie allemande qui, après avoir porté son ambition si haut, n’a pas même pu, comme l’heureux roi d’Ithaque, trouver un refuge aux lieux d’où elle était partie, c’est sa propre histoire que le poète raconte ; c’est une nouvelle page de biographie qu’il ajoute à celles qu’il a déjà autrefois répandues çà et là. Tout dans cette dernière œuvre porte l’empreinte d’un pénible désenchantement ; il y a de l’amertume dans son sourire, du regret dans l’expression de sa joie, et un dard envenimé au fond des fleurs poétiques dont il entoure parfois son récit. Le livre commence par un sarcasme et se termine par un cri de douleur, la douleur de l’exil.

Comme histoire d’un mouvement politique, cet ouvrage est d’un grand intérêt ; il constate l’impuissante activité d’un parti qui a, pendant plusieurs années, effrayé la confédération germanique et occupé, par contre-coup, la France. C’est le procès-verbal du démembrement de la jeune Allemagne ; c’est l’oraison funèbre de ses espérances démocratiques.


Lebensnachrichten (Documens sur la vie de Barthold George Niebuhr). 3 vol. in-8o. — Depuis que, pour satisfaire aux caprices de notre mobile et incessante curiosité, chaque jour, à des heures régulières, la presse nous livre, corps et ame, pieds et poings liés, des individualités, j’ai souvent plaint le sort des pauvres hommes célèbres. Autour d’eux il n’y a plus ni repos, ni mystère. Leur demeure est de tous côtés ouverte aux regards indiscrets, leur vie est comme un livre dont les fermoirs ont été violemment brisés, et dont chacun croit avoir le droit de dérouler l’une après l’autre les pages les plus intimes. La solitude n’a pour eux pas d’ombre assez profonde pour les dérober au grand jour de la publicité, et les dieux du foyer n’ont pas l’aile assez large pour leur donner un asile sûr dans le sanctuaire de la famille. L’homme célèbre meurt : vous croyez peut-être que cette outrageante inquisition qui l’a harcelé toute sa vie s’arrêtera devant sa tombe. Non pas. À peine ses yeux sont-ils fermés, qu’à l’instant même parens, amis, légataires directs et collatéraux se mettent à fouiller dans ses manuscrits, à recueillir ses notes, ses lettres inachevées, les pensées fugitives qu’il aura écrites dans un moment d’erreur, les quelques pages sans suite qu’il aura tracées pour se distraire un