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REVUE LITTÉRAIRE DE L’ALLEMAGNE.

ment une assez vive émotion, mais nul drapeau ne s’est levé, nul glaive n’est sorti du fourreau, et l’émotion est restée parmi les scribes et les ergoteurs d’école, qui tâchent d’en tirer le meilleur parti possible. En politique donc, calme plat. En littérature, même calme et même tristesse. Des milliers de cerveaux couvent cependant chaque soir sur l’oreiller l’idée d’un nouveau livre. Si Fine-Oreille, ce personnage fantastique d’un conte de fées, écoutait, penché sur la frontière, ce qui se passe en Allemagne, il nous dirait, j’en suis sûr, qu’il entend les hémistiches des lieder élégiaques qui bourdonnent dans l’air, et les plumes des prosateurs qui crient en courant sur le papier. Mais de tout ce travail incessant d’un immense pays, que reste-t-il au bout de l’année ? Hélas ! je l’ai déjà dit mainte fois, et il m’en coûte de le répéter encore, il reste peu de chose. J’ai beau chercher et fouiller dans ces gerbes de volumes, de brochures qui arrivent chaque mois de Leipzig à Paris. Pour quelques épis qui renferment un peu de bon grain, combien d’autres qui n’ont que des alvéoles vides ! Une tradition populaire raconte que parfois dans les champs du Nord, dans les nuits ténébreuses d’hiver, on entend le rouet des filandières qui filent des linceuls de mort. Dans le bruit journalier de vos bibliothèques et de vos écoles, dites-le-nous, ô Allemagne, notre sœur, filez-vous le linceul de votre génie, ou ne voyez-vous pas poindre au lointain dans le jour morne qui vous enveloppe l’éclair d’une nouvelle gloire et l’aurore d’une nouvelle vie ?


X. Marmier.