Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/71

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
67
LES PROVINCES DU CAUCASE.

notre dîner et celui de mon escorte, qui, conformément aux usages orientaux, vint s’asseoir à côté de moi. Le voisinage de la vallée du Samour répand la richesse et l’aisance dans les villages qui peuvent utiliser les eaux de cette rivière pour la culture du millet. Je remarquai la beauté des tapis fabriqués par les femmes ; les couleurs en sont aussi brillantes que solides. Quittant Soubach, je côtoyai le Samour. La vallée s’élargissait, et de nombreux villages égayaient la plaine. Des habitans parcouraient les champs portant sur leur poing des faucons ou des tiercelets ; ils chassaient des perdrix ou des cailles. Je fus surpris de la quantité de gibier qui se trouvait sur notre route ; des perdrix couraient devant nous sans vouloir s’envoler ; il fallait les poursuivre au galop de nos chevaux pour les forcer à s’élever. Les hommes de notre escorte étaient étonnés de nous voir tirer des perdrix au vol sans descendre de cheval ; ils ne tirent jamais qu’arrêté. La veille, nous avions pu juger de leur adresse : plaçant une pièce d’argent à cent pas de distance, je l’avais promise pour récompense à celui qui l’enlèverait avec une balle ; tous atteignirent le but à quelques lignes près, mais ils avaient soin de placer pour appui sous leur fusil deux bâtons en croix, des pierres ou leur sabre. Ils me dirent qu’autrement ils ne seraient pas sûrs de la justesse de leur coup.

Je passai le Samour à plusieurs reprises et pus remarquer la légèreté des ponts et la simplicité de ces constructions. On commence par établir sur chaque rive une pile, soit en bois, soit en pierre. Deux poutres dépassent cette pile de deux pieds environ ; deux autres poutres superposées dépassent les deux premières dans la même proportion. L’extrémité de la sixième poutre se trouve ainsi à douze pieds de la rive du fleuve. La largeur du Samour variant de quarante à cinquante pieds, une poutre d’une moyenne longueur suffit pour réunir les deux rives. Ces ponts sont aussi légers que solides ; élevés au-dessus du lit du fleuve, ils résistent aux crues subites qui suivent la fonte des neiges. Si les piles qui servent d’appui à ce système si simple offrent un contre-poids suffisant à la portée des poutres, ces ponts peuvent durer de longues années.

Je traversai Routoul, village aussi peu important qu’Yelissou. Les habitans étaient tous occupés à la récolte du millet ; des enfans conduisaient en cercle des bœufs ou des chevaux attelés à une herse massive garnie soit de clous en fer, soit de bois pointus, et destinée à séparer le grain de la paille. La route était sillonnée de nombreux canaux qui servent à l’irrigation des champs en culture. Je remarquai le bon entretien de ces canaux et le soin avec lequel les pentes