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LES ESCLAVES DANS LES COLONIES ESPAGNOLES.

libres. Je sais qu’à ces mots les enthousiastes crieront anathème contre moi, créole endurcie, élevée dans des idées pernicieuses, et dont les intérêts se rattachent au principe de l’esclavage ; mais je les laisserai dire, et m’en rapporterai au bon sens des esprits droits. Si, après avoir lu cet écrit, ils me condamnent, je me livre à eux dans mon humilité, leur demandant grace pour mon cœur en faveur de cet amour inquiet de la justice qui peut m’égarer, mais qui ne saurait jamais détruire la généreuse pitié dans le cœur d’une femme.

Rien de plus juste que l’abolition de la traite des noirs ; rien de plus injuste que l’émancipation des esclaves. Si la traite est un abus révoltant de la force, un attentat contre le droit naturel, l’émancipation serait une violation de la propriété, des droits acquis et consacrés par les lois, une vraie spoliation. Quel gouvernement assez riche indemniserait tant de propriétaires qui seraient ainsi dépouillés d’un bien légitimement acquis ? L’achat des esclaves dans nos colonies n’a pas seulement été autorisé, il a été encouragé par le gouvernement, qui en a donné l’exemple en faisant venir les premiers nègres pour le travail des mines.

Après la découverte de l’Amérique, les nations les plus éclairées protégèrent le commerce des esclaves ; l’Angleterre obtint notamment le monopole de la traite, et le garda pendant plus d’un demi-siècle. Dans ces temps où le monde était gouverné par la force matérielle, un nègre nourri, habillé par son maître, et qui acquittait ce bienfait par son travail, était plus heureux que le vassal, qui, après une corvée seigneuriale, payait ses redevances, puis mangeait et s’habillait, s’il pouvait trouver de quoi s’habiller et vivre.

Pour porter un jugement équitable sur les faits historiques, il faut se reporter aux temps et aux lieux qui les ont vus naître, examiner le degré de lumière, les usages et même les préjugés de l’époque ou du pays. On a donc autant de tort à blâmer l’Espagne d’avoir été jadis une des premières nations qui ait encouragé le commerce des esclaves, qu’on serait coupable aujourd’hui de le tolérer. Cependant, si l’on réfléchit qu’alors comme maintenant les Africains condamnés à l’esclavage ont été préalablement destinés à être tués et dévorés, on ne sait plus où est le bienfait, où est la cruauté.

Lorsqu’une tribu faisait des prisonniers sur une tribu ennemie, si elle était antropophage, elle mangeait ses captifs ; si elle ne l’était pas, elle les immolait à ses dieux ou à sa haine. La naissance de la traite détermina un changement dans cette horrible coutume : les captifs furent vendus. Depuis cette époque, le commerce des esclaves