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rempli un devoir, rendu hommage à l’humanité et calmé leur conscience du XIXe siècle. Toutefois il faut qu’ils commencent, avant tout, par respecter la propriété et la vie de leurs frères.

Je m’aperçois que je m’écarte de l’ordre de mon récit, et j’y reviens. À peine trente ans s’étaient-ils écoulés après la découverte de l’Amérique, que la race indigène se trouva considérablement diminuée. L’horreur qui s’empara des Indiens lorsqu’ils sentirent leur indépendance enchaînée, les rudes traitemens que les Espagnols leur faisaient subir pour les forcer au travail, le désespoir causé par une si violente contrainte à des gens qui avaient toujours vécu dans l’indolence, toutes ces causes, réunies au fléau de la petite vérole qui les décima au commencement du XVIIe siècle, firent bientôt disparaître du globe une race douce et inoffensive. Avant l’arrivée des conquérans, leurs besoins se bornaient à vivre de poissons et de fruits, si abondans sur cette terre bénie. Les fruits, si j’ose m’exprimer ainsi, leur tombaient dans la bouche sans qu’ils eussent la peine de les cueillir, et la pêche était un plaisir sensuel pour un peuple dont toutes les jouissances consistaient dans le repos et dans la contemplation de la nature. Lorsque les maladies, la fatigue et le suicide eurent moissonné un grand nombre d’Indiens, les terres restèrent en friche faute de bras pour les cultiver. L’abandon et la solitude menacèrent de stérilité ces belles contrées, conquises avec tant d’audace et de bonheur par la civilisation européenne. L’évêque de Chiapa, Fray Bartolomé de Las Casas, se constitua l’ardent champion de cette race infortunée ; ses paroles évangéliques retentirent jusqu’aux extrémités du monde ; dans ces temps de barbare despotisme, il eut le courage de blâmer un roi et de plaindre hautement un peuple malheureux. Ce saint homme fut le premier qui demanda des Africains esclaves pour l’Amérique, d’abord afin de soulager la race indienne qui allait s’éteindre, puis afin d’empêcher les cannibales de dévorer leurs ennemis. L’amour de l’humanité importa en Amérique le germe de l’esclavage, dont l’origine fut due à la pensée charitable d’un homme plein de courage et de vertu. Il faut avouer qu’on était bien loin alors de cet idéal de perfectionnement social vers lequel on marche aujourd’hui avec tant d’ardeur. Mais reconnaissons une vérité importante, c’est qu’en tout temps il y a danger à envisager le bien et le mal d’une manière absolue. Aujourd’hui même, le monde est encore assez mal ordonné pour que l’esclavage doive, comparativement, être regardé comme un bien.

Nous venons de voir comment l’esclavage fut introduit en Amé-