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LES ESCLAVES DANS LES COLONIES ESPAGNOLES.

maîtres, ils sont aussi pratiqués par les domestiques européens qu’on amène à Cuba ; leur orgueil, révolté à la vue de la domesticité dégradée jusqu’à l’esclavage, les rend insolens et cruels.

Néanmoins, ces inconvéniens ne sauraient être insurmontables. Mille préjugés ont été détruits par le temps et par la civilisation, mille difficultés aplanies par les progrès de la raison. Déjà un des plus riches propriétaires de l’île a formé il y a plusieurs années le projet d’établir une sucrerie modèle, exploitée seulement par des hommes libres. Mais, au moment où il fut question de faire venir un certain nombre de colons allemands pour cet objet, des difficultés soulevées par l’autorité le forcèrent à y renoncer. D’autres colons, que les ravages causés par le choléra parmi les nègres ont avertis du danger, commencent à faire travailler des hommes salariés, soit à la journée, soit à des prix convenus, mais seulement pour couper, rouler et charrier de la canne ; cet essai, qui leur a réussi, trouvera des imitateurs, il ne faut pas en douter, surtout si l’on parvient à attirer dans la colonie des laboureurs allemands, gens paisibles et bons travailleurs.

Malheureusement la politique suivie jusqu’à ce jour a préparé les obstacles qui s’opposent maintenant à ce que le travail des hommes libres vienne remplacer celui des esclaves. Il faudrait que le système actuellement en vigueur fût modifié d’après les nouveaux besoins. Le gouvernement espagnol a toujours redouté pour ses états d’outre-mer le contact étranger, d’abord à cause de la jalousie des autres nations, ensuite par les inspirations d’une politique craintive, soupçonneuse et peu favorable aux idées libérales. Les pertes et les malheurs de l’Espagne ont dû faire disparaître depuis long-temps les sentimens d’envie qu’elle avait inspirés, et les innovations déjà opérées dans ses institutions promettent à sa colonie une réaction heureuse. Quoi qu’il en soit, l’Espagne ancienne, au lieu de favoriser l’introduction des colons de la métropole dans l’île de Cuba, craignant de se dépeupler elle-même, déjà épuisée d’hommes par les émigrations antérieures en Amérique et par tous les fléaux qui ont pesé tour à tour sur sa terre désolée, n’a guère donné à la colonie, jusqu’au commencement de ce siècle, d’autres recrues que quelques aventuriers qui fuyaient pour éviter la conscription, et un petit nombre de négocians qui, déjà enrichis sur ce sol, y fixaient leur domicile par reconnaissance.

On en était là, lorsque la révolution de Saint-Domingue éclata. Le développement de notre industrie attirait alors dans l’île un grand